Sophie d'Arbouville (1810-1850)
Recueil : Poésies et nouvelles (1840)

Au Mont Rosa


 

Froide et blanche Montagne où la neige étincelle,
Posant sur ton sommet sa couronne éternelle,
Ô Reine dont le front disparaît dans les cieux,
Pourquoi dérobes-tu ta splendeur à nos yeux ?
Le ciel jaloux étend un voile sur ta cime ...
Mais que craint-il de ceux qui rampent dans l'abîme ?
Écarte des brouillards le livide linceul;
Ton front ne veut-il donc se montrer qu'à Dieu seul ?
Moi, je voudrais te voir ! Si j'étais le nuage,
Tournoyant dans l'espace et poussé par l'orage,
Je volerais vers toi, Sommet mystérieux,
Je planerais sur toi, plus près que toi des cieux.
Si j'étais, du soleil, un rayon qui colore,
Je chercherais ton front pour briller mieux encore.
Si j'étais la rosée, -abandonnant les fleurs,
Laissant un ciel de feu dessécher leurs couleurs,
Avec quel doux bonheur sur toi m'arrêterais-je,
Blanche perle de plus à ton bandeau de neige !
Si j'étais un aiglon au vol impétueux,
Oui, devant le soleil, ne ferme pas les yeux.
J'irais avec orgueil, de mon aile intrépide,
Battre les flancs aigus de ton sommet aride.

- Je ne suis ni l'aiglon, ni la neige, ni Dieu ...
Je ne te verrai pas, blanche Montagne, adieu !
Nul pied ne foulera ta cime inaccessible,
Nul oeil ne te verra - Dieu l'a dit impossible.
Je t'admire de loin et m'éloigne à regret ...
Garde donc à jamais ton éternel secret !

- Mais quelle voix me dit: « Tu le sauras peut-être !
Le mystère, à tes yeux, un jour peut disparaître;
Attends encore ! Ce mont, orgueilleux comme un roi,
Atome imperceptible, ira moins haut que toi.
Tu ne fais que passer un matin sur la terre,
Et ton âme, en ces lieux divine prisonnière,
Quand de sa liberté l'heure enfin sonnera,
Beau cygne délivré, vers le ciel s'enfuira;
Et, franchissant ces monts qui dominent l'abime,
Son aile, en s'abaissant, pourra toucher leur cime.
Pour monter jusqu'aux cieux en suivant l'aquilon,
Ce pic, si tu le veux, servira d'échelon.
Ombre, tu voleras comme un léger nuage,
Comme le jeune aiglon, la rosée ou l'orage,
Et, moins blanche que toi, la neige cherchera
Vainement à savoir où ton vol l'effleura.»

Mais le jour s'est enfui; la lune, triste et blanche,
Sur les sommets glacés avec amour se penche.
Montagne, belle encor dans les ombres du soir,
Adieu pour aujourd'hui; ... mais un jour, au revoir !

 

 


Sophie d'Arbouville

 

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