Arthur Rimbaud (1854-1891)
Recueil : Derniers vers (1872)

Chanson de la plus haute tour



Oisive jeunesse
À tout asservie,
Par délicatesse
J’ai perdu ma vie.
Ah ! Que le temps vienne
Où les cœurs s’éprennent.
 
Je me suis dit : laisse,
Et qu’on ne te voie :
Et sans la promesse
De plus hautes joies.
Que rien ne t’arrête,
Auguste retraite.
 
J’ai tant fait patience
Qu’à jamais j’oublie ;
Craintes et souffrances
Aux cieux sont parties.
Et la soif malsaine
Obscurcit mes veines.
 
Ainsi la Prairie
À l’oubli livrée,
Grandie, et fleurie
D’encens et d’ivraies
Au bourdon farouche
De cent sales mouches.
 
Ah ! Mille veuvages
De la si pauvre âme
Qui n’a que l’image
De la Notre-Dame !
Est-ce que l’on prie
La Vierge Marie ?
 
Oisive jeunesse
À tout asservie,
Par délicatesse
J’ai perdu ma vie.
Ah ! Que le temps vienne
Où les cœurs s’éprennent !
 
Mai 1872

 


Arthur Rimbaud

 

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