Charles Coypeau d'Assoucy (1605-1677)
Recueil: Les métamorphoses d'Ovide En Vers Burlesques (1650)

Fable V - La Gigantomachie


 

Quoy plus, l'Impieté sans bornes,
Qui, comme est dit, faisoit les cornes
Et pettarade à tous les Dieux,
L'Orgueil qui regnoit en tous lieux,
Non content, chose étrange à dire,
De la Terre, et de son Empire,
Voulut encor audacieux
Porter son Trône dans les Cieux,
Suscitant ces Fils de la Terre,
Ou plûtost ces Fils de la Guerre,
De rogner l'Escuelle à Juppin,
Taster de sa chair, de son pain,
Voir de son eau boire en sa couppe,
Et tremper les doigts dans sa souppe.

De fait, ces robustes Garçons,
Qui sans souliers à hauts talons
Alloient encore les testes nuës
Quatre doigts par dessus les nuës,
Entasserent sur Pelion
De Montagnes un million,
Chose rare et non pas commune;
Puis se logerent sur la Lune,
Provoquans les Dieux au combat,
Appellans Jupiter un fat,
Jurans de luy plumer son Aygle,
Luy battre le dos comme segle,
Et luy coupper son Ardillon
À la Barbe de sa Junon;
Bref, qu'ils montreroient à leurs Hostes,
En leur brisant testes et costes,
Qu'assez avoient pour estre Dieux,
De Barbe au nez, et Barbe aux yeux;
À quoy cil qui Rocs met en poudre
Ne répondit qu'à coups de foudre;
Mais ces temeraires Soldats
Repartirent à coups de mats,
À coups de fourche, à coups de gaule,
Faisant tomber sur mainte épaule,
Et sur maint celeste hoqueton,
Maint furieux coup de baston,
Criblans la peu, perçans la coine,
Enfonçans crane et peritoine,
Et donnans sur ras et tondus
Ainsi que beaux enfans perdus.
D'autre part la Trouppe froissée
Des Dieux, donnoit teste baissée,
Sans épargner ny pieds ny cous;
Mais on riva si bien leurs clous,
Que sans tambour et sans trompette
Force leur fut faire retraite.
Ce qui rendit bien étonné
Le grand Juppin, qui testonné,
Comme j'ay dit, avec sa foudre,
Ne sçachant à quoy se resoudre,
Fit assembler soudainement
Conseil de Guerre, et Parlement,
Qui les choses bien balancées,
Bien sassées et ressassées,
Finalement conseil fut pris,
Que sans tarder, de peur de pis,
Contre cette Cohorte infame,
On feroit marcher l'Oriflame
Avec l'Estendar de Gan,
Qu'on publiroit l'arriereban;
Et tandis, veu le peu de conte,
Que ces gens de fer et de fonte,
Faisoient de son foudre commun,
L'avallant comme du petun,
Qu'il tireroit de sa grand foudre,
Capable de reduire en poudre
Non seulement ces gens pervers,
Mais encore tout l'Univers.
Chose concluë et arrestée,
La foudre luy fut apportée;
Foudre que le grand Saturnus,
Par l'advis de Nostradamus,
En cas de fortune contraire,
Fort sagement avoit fait faire;
Et que sans des grands de Lutin,
N'avoit osé le grand Juppin
Tirer, cas merveilleux à croire,
Mais que pourtant, ce dit l'Histoire,
Il prit dans ce pressant malheur,
Non pas sans changer de couleur.
Adonc tous les Dieux s'écarterent,
Qui çà, qui là, puis le laisserent
Tout seul en la garde de Dieu,
Lequel guignant de son haut lieu,
Foudre en jouë, et mesche allumée,
Toute la gigantesque Armée
Qui dans la campagne des Cieux
Ne trouvans ny bestes ny Dieux,
Déja l'Enseigne déployée,
Crioient dedans, Ville gagnée,
Son cas promptement affuta;
Affuté, la foudre appointa;
Appointée, il porta la méche
Au bassinet, la foudre seche
Prit; et le foudre foudroyant
D'un son horrible et long bruyant,
Ebranlant toute la nature,
Fit pâmer toute creature,
Du fond l'Olympe s'écroula,
Et jusqu'au sommet en trembla;
Tout fremit dans son domicille,
Jusqu'à l'huitre dans sa coquille,
L'Enfant dans ses draps se mussa,
Et tout le bon vin s'en poussa,
Laissant aller dessus leurs testes
Mille traits et mille tempestes,
Grands saucissons, farcis de dards,
Grands pots à feux, et gros petards;
Si bien que depuis la cervelle,
Jusqu'aux étuis à la moüelle,
Le foudre si bien les tasta,
Que maudit soit s'il en resta,
Comme l'on dit, ny pied, ny aisle;
Ainsi s'appaisa la querelle,
Moyennant quelques coups de pieux
Entre les Geans et les Dieux,
Que paya le sang de Typhée;
Duquel sang la Terre abbreuvée,
Malgré Jupiter et ses dents,
Conceut et poussa de ses flancs
Une autre espece de canaille,
Non du tout de si belle taille
Que leurs parens Eschelles-Cieux,
Mais bien autant pernicieux,
Loups ravissans, Andropophages,
Qui ne vivans que de carnages,
N'assouvissoient (dit-on) leur faim,
Que de chair et de sang Humain.

 

 


Charles Coypeau d'Assoucy

 

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