Charles Coypeau d'Assoucy (1605-1677)
Recueil: Les métamorphoses d'Ovide En Vers Burlesques (1650)

Les Amours de Jupiter et d'Io


 

Si tost que du pauvre Penée
Daphné la Fille imfortunée,
Comme est dit au Pere des Mois,
Eust montré visage de bois,
Mille petits Dieux de Riviere,
Les subjets de Monsieur son Pere,
Vindrent sur batteaux de relais
Dedans son humide Palais,
Se condouloir de l'aventure
De sa trop chaste geniture.
Inache seul ne s'y rendit,
Trop il avoit, à ce qu'on dit,
Courant par les champs comme un Barbe,
D'affaire à s'arracher la barbe,
Sans se mesler du poil d'autruy;
Trop avoit d'angoisse et d'ennuy,
Loin d'Io son coeur et sa joye,
Dont il n'avoit ny vent ny voye,
Laquelle depuis des jours dix
Il croyoit estre en Paradis,
Bien que si loin ne fusse mie,
Ains en tres-bonne compagnie
D'un Dieu qui la reconfortoit,
Tandis que son pere trottoit.
Jupiter l'ayant rencontrée
Bec à bec hors de sa contrée,
En fut incontinent épris;
Car fils de Chat croque souris
Onc ne fut tant aspre au fromage,
Que ce Dieu croque pucelage
Le fut à l'amoureux larcin;
Si bien que dans son boucassin
Sentant un feu que sa chair grille,
Comme jambon dessus la grille,
Il l'accoste, et luy parle ainsy.
Beauté qui causez mon soucy,
Vierge à ressort, Nymphe à serrure,
Pour laquelle ouvrir, je vous jure,
Vous offre le grand Jupiter
Clef plus douce que clef de fer.
Beau Tullipier, beau pot à rose,
Qui portez sur vous une chose,
Plus digne de l'Altitonant,
Que d'un Rustaut ou d'un Manant.
Comment, beau sujet de mes larmes,
Laissez-vous perir tant de charmes,
Exposant ce teint nompareil
Aux brûlans rayons du Soleil ?
Comment dans cette Forest sombre
Ne daignez-vous poser à l'ombre
Ce teint si charmant et si doux ?
Là si vous avez peur des loups,
Je vous y feray compagnie;
Il n'est loup que je ne défie
Avec mon tonnerre à la main;
Il n'est voleur de grand chemin,
Fut-il tout pot et tout cuirasse,
Qui vous ose lorgner en face;
Brigand que je ne mette à sac
De mon tonnerre qui fait craq;
Car je ne suis pas, à Dieu grace,
Un petit Dieu de basse classe,
Un Miquelot, un Ramonneur,
Mais un Dieu qui cherche l'honneur;
Je suis le grand Maistre du foudre,
Non Belle pour vous mettre en poudre,
Mais pour de poudre vous garder,
Non pour flâme sur vous darder,
Ny feu, ny foudre, ny flâmesche,
Mais bien une amoureuse fleche;
Vous faire gouster un tantin,
Pour, sans gaster vostre satin,
Vous faire une amoureuse bresche,
Et mettre un petit bout de mesche
Dans vostre joly serpentin;
Laissez doncques faire à Martin,
Toûjours n'aurez, noble pucelle,
Un Jupin dans vostre escarcelle,
Un Jupin toûjours Jupinant,
Un Jupin toûjours roussinant,
Un Jupiter large d'échine;
Toûjours n'aurez gregue Jupine
Pour guerir vos pâles couleurs,
Jupin a bien affaire ailleurs;
Et d'autre employ, ne vous déplaise,
Qu'à poursuivre Nymphe mauvaise,
Qui chandelle en son martinet
Ne veut souffrir un tantinet.
Ainsi flanquoit sa batterie
Le Grand Dieu de l'artillerie,
Pour ébranler la fermeté
Du Roc de sa pudicité;
Mais rien n'y gagnoit le beau Sire,
D'autant que la Nymphe, à vray dire,
Sans l'oüyr, ny luy tenir plaid,
Fuyoit aussi viste qu'un trait,
Tournant non le sein, mais la nuque,
À ce Dieu qui n'est pas Eunuque,
Qui comme un Barbe court apres,
Mais elle luy casse du gres;
Car elle court de telle sorte,
Qu'on diroit que le vent l'emporte,
Ou que le Diable asseurément,
Qui va du pied comme un Flamant,
La transporte par monts et pleine;
Si bien que resté sans halaine,
Jupiter lassé de courir,
Mais non pas lassé de couvrir,
L'enveloppa d'épais nuage,
Où des fleurs de son pucelage
Luy fit apres position
Gentille composition;
Quand Junon qui du haut étage
Des Cieux voit, comme prude et sage,
Que tel nuage ramassé
La Terre n'a point condensé,
Se doute aussi-tost de l'affaire;
Elle devine le mystere;
Et ne trouvant point son mary,
Traistre, cocu, larron, pourry,
Déloyal, parjure, infidelle,
Voicy de tes faits, ce dit-elle,
Mercy Dieu voicy de tes traits,
Voicy nouveau fruict du marests,
Voicy, voicy, jour de ma vie,
Voicy nouvelle colonnie
Pour repeupler Villa et faux-bourg,
Voicy nouveau regain de Cour
Pour remeubler chambre garnie;
Mais puisse noire compagnie
De Farfadets et de Lutins,
Anere pisser sur mes patins,
Si de ta ratapenicule
Je te laisse une particule,
Non plus que de poil au menton.
Ce dit, à grands coups de baston
Elle chasse la noire nuë;
Mais rien ne paroist à sa veuë
Qu'une Genisse à poil rousseau,
Dont pas loin n'estoit le Taureau;
Car Jupiter qui n'est pas gruë,
Voyant Junon fendre la nuë,
Martin baston portant en main,
De belle queuë avoit soudain
La pauvre Nymphe débauchée,
Subtilement enharnachee,
Posé deux cornes sur son front,
Et tous les ornemens, qui font
Des pieds jusques à la caboche,
Un corps de Vache, sans reproche,
À qui pourtant luy fait beau beau
Junon, qui luy frisant la peau,
Demande à Jupin de quel Monde
Cette Vache est si belle et blonde;
Si c'est une Vache d'Arras,
De la Chine, ou du Pays-bas,
Ou bien une vache Espagnolle,
Ou la vache à tante Nicole.
À quoy Jupin d'enqueste las,
Dit que c'est la vache à Colas
Qu'envoyé luy ont les Dipsodes
Tout fraischement des Antipodes;
Adjoustant, pour n'en point mentir,
Qu'elle vient de terre sortir,
Bien qu'il ait menty par sa gorge,
Car c'est une bourde qu'il forge,
Que la Deesse feint pourtant
De prendre pour argent content;
Si bien qu'en l'espoir qui la flatte
De l'avoir bien tost sous sa patte,
Et la vergetter en amy,
C'est à dire en diable et demy,
Elle la louë, elle l'admire;
Et la trouvant comme de cire,
En demande piece ou loppin
À Monsieur son mary Jupin;
Ce qu'audit Seigneur ne plaist guere;
Car de laisser chose si chere
À la mercy d'un coeur jaloux,
C'est la mettre à la gueule aux loups;
La refuser, c'est faire pire;
Car pour si peu Dame éconduire,
Qui porte satin sur velours,
C'est bien de ses folles amours
Luy donner preuve toute claire;
Il est au bout de sa Grammaire;
Que fera-il le pauvre Espoux ?
Il voudroit bien pour quelques coups,
Ou de patins, ou d'étriviere,
Estre quitte de telle affaire.
Mais que luy sert de lanterner,
Il est contraint de la donner,
Il faut enfin qu'il l'abandonne;
Et la raison veut qu'il la donne
À la jalouse Deité,
Qui la reçoit de son costé,
Et tout d'un temps la baille en conte
Au sieur Argus, de qui l'on conte
Qu'il avoit bien cent yeux au front;
Dont en dépit du sieur Dupont,
Homme envieux, lequel enrage
De voir un bel eil au visage;
Tout seul il voyoit cent fois plus
Que quatre-vingts dix borgnibus,
Sans les Quinze-vingts y comprendre,
Qui nous voudroient avoir veu pendre;
Jamais de luy nul des Humains,
Pour tirer les cirons des mains,
Viser au blanc, guigner au merle,
Enfiler patenostre et perle,
N'approcha de cent piques pres;
C'estoit un vray diable en procez
Pour trier sallade nouvelle,
Et marcher la nuit sans chandelle;
Aussi c'estoit le sieur Argus,
Le Seigneur aux cent yeux aigus,
Duquel cent toûjours les cinquante
Veilloient sur la pauvre innocente,
Qui pour lors eust bien mieux aimé,
Voyant son honneur entamé,
Porter le froc aux Repenties,
Et se frotter le cul d'orties
Dans le faux-bourg %S.. Honnoré,
Que sans serviette sur le pré,
Au grand détriment de sa pance,
Solemniser sans ordonnance
De Vicaire ny de Curé,
Toûjours le Vendredy oré;
Souvent le jour, la pauvre Inache,
Dans ses patenostres de Vache,
Maudit le Dieu qui l'attrapa,
Et voudroit bien chez son Papa
Revoir encores la cramilliere,
Récurer marmitte et chaudiere,
Rattiser les bouts des tisons,
Donner de l'avoine aux oysons,
Souppe tailler, fermer la huche,
Cruche porter, frire merluche,
Plûtost que parmy le cresson,
Loin d'andoüille et de saucisson,
De pastez et de coqueluches,
Ne disner que de fanfreluches.
Las bonnes gens, c'est grand pitié,
De n'avoir du pain qu'à moitié;
Malheureux est, qui dans ce Monde
N'a large écuelle, et bien profonde,
Manche de drap à se moucher,
Et lict de plume à se coucher;
Pas tant n'avoit, comme je pense,
Io, qui dans sa penitence
Cherche en vain plus de quatre fois
Ses mains, pour en armer ses doigts,
Contre son poil de jaune paille
Qu'elle perdit à la bataille;
Elle admire, non sans horreur,
Dans son ombre qui luy fait peur,
L'étrangeté de sa personne;
Mais ce qui beaucoup plus l'étonne,
C'est de se voir pisser si gros;
Elle maudit à tous propos,
Et donne au diable la bougie,
Dont s'ensuivit hemoragie,
Craignant que pour un Jupineau
Jupin ne luy eut fait un Veau,
Qui luy seroit un grand reproche;
Souventefois elle s'approche
Du Sieur Argus, pour le prier
De luy donner ancre et papier,
Pour écrire un mot à son Pere,
Et voudroit bien dans sa misere
Avecque luy se consoler;
Mais lors qu'elle luy veut parler,
Du fond de sa gorge brutale,
Comme du creux d'une Pedalle,
Elle tire un chant assez doux
Pour attirer coups de cailloux,
Coups de bastons et coups de pierre,
Et d'autres instrumens de guerre,
Lesquels appliquez sur les reins
Des gens doüillets, ne sont pas sains,
Ny sur le cul, ne vous déplaise,
Des importans qu'on porte en chaise,
Qui portez sont plus delicats
Que gras porteurs, portans pieds plats.
D'autrefois parmy les campagnes
Elle voit ses cheres compagnes,
Qui jusques dessous ses talons
Viennent chercher des champignons;
D'aise elle en pisse dessous elle,
Mais au diantre celuy ny celle
Qui daigne son deüil consoler,
Ny seulement la regaler
D'un morceau de la miche sienne;
Il n'est ma foy d'amis qui tienne,
Quand au croq il n'est plus de lard,
Belle commere Dieu vous gard.
Un jour la Nymphe Cornigere
Rencontra Monseigneur son Pere,
Qui dit avoit maints Profundis
Comme maintes gens les ont dis,
Pour ceux qui n'en avoient que faire;
On ne vit jamais telle chere,
Tous deux bras dessus, bras dessous,
Elle se couche à ses genoux,
Elle se vire, elle se veautre,
Luy montre la prouë et la peautre,
Luy leche les mains, le museau,
Sa fistule et son auripeau,
Luy fait reverence à sa guise,
Et comme Fille bien apprise
Finalement luy saute au col,
Dont s'émerveille Inache Pol,
Mais dont pourtant point ne s'en fâche
Ledit noble Sieur Pol Inache;
Au contraire il y prend plaisir,
Car le bon sang ne peut mentir;
Mais ce qui beaucoup plus l'étonne,
C'est qu'on diroit qu'elle marmonne,
Magines mots entre ses dens;
Où jaçoit que les plus sçavans
Sorciers n'y peussent rien entendre;
Il pense pourtant bien comprendre
Quelque chose en son oraison,
Et dit que la beste a raison;
Que sur l'heure, et sans plus attendre
Il les faudra tous faire pendre.

À quoy le dolent animal,
Voyant que pour juger son mal,
Et deviner son avanture,
Son Pere a la teste trop dure,
En deux coups luy monstre son nom
Imprimé dessus le sablon,
Dont la planche est son pied de vache;
Ce que voyant le pauvre Inache,
Demeure à soy recroquilé,
Plus enconifistibulé,
Que s'il eut senty de la beste
Sauter les cornes en sa teste,
Avecque tous les cornichons
Qui parent tant d'augustes fronts.
C'est donc vous, ô Fille égarée,
(Ce dit-il) que j'ay tant pleurée,
Qui lechez mes tremblantes mains,
C'est vous, chere huile de mes reins,
Chere Io que j'ay tant cherchée,
Chaussée et donné la bechée,
À qui j'ay tant torché le cu;
Quel est le traistre, le cocu,
Qui vous a si fort outragée ?
Helas ! que vous estes changée !

Vous me semblez en verité
Plus seche qu'un pendu d'Esté;
Qu'est devenu vostre équipage,
Vos pieds, vos mains, vostre visage,
Vostre beau colet de quintin,
Et vostre juppe de satin ?
Qui vous a plié la toillette ?
Est-ce un chanteur ? est-ce un Poëte ?
Ou quelque Satyre cornu ?
Est-il grand, gras, gros, ou menu,
Vieux, ou jeune valet, ou maistre ?
Dieux ! que vous sentez le salpestre,
Le souffre, et la poudre à canon,
Je crains bien quelque trahison;
Ha ! je voy bien, pauvre pucelle,
Jupin vous a donné dans l'aile;
C'est luy, c'est ce Prince maudit,
Car mon petit doigt me l'a dit;
C'est ce grand abatteur de quilles,
Qui de nos Fils et de nos Filles
Fait ainsi comme de ses choux,
Mais il en aura du dessous;
Nous en avons, et belle somme,
De bons amis en Cour de Rome,
Et chez Monsieur l'Official;
Il payra le servitial
Qu'il vous a donné dans les trippes,
Ou bien j'y brûleray mes nippes;
Il y mangera, le cornard,
Sa bombarde et son gros petard.
Ce dit, il la menoit en cage,
Sans Argus l'oeillé personnage,
Qui malgré la paternité,
Vous la tire de son costé;
C'est ma Fille, disoit Inache;
Le Pasteur disoit c'est ma Vache,
Tu ne l'auras point; je l'auray,
Disoit Inache, ou j'y mourray.
Lors Argus pour se faire large,
D'un poing luy fait une décharge
Tout droit sur le chignon du cou;
Inache ramasse un caillou,
Dont il luy cassoit la machoire,
Sans Melampus et Gueule noire,
Ses chiens, qui prompts à son secours,
Arrivez, sans autre discours,
Prennent le Dieu par la bottine,
Et luy font gagner la colline.
Adonc Argus, Vacher argut,
Qui de combattre estoit en rut,
Remene au Haras la pauvrette;
La remenant, vous la vergette,
La revergette, et puis la met
Pour quarante jours au filet.
Ha ! Jupin, Jupin, quelle honte,
De faire des gens moins de conte,
Que du sien de vostre soulier ?
Estes-vous Turc, ou Bandollier ?
Estes-vous Dieu ? estes-vous Diable ?
Et plus qu'un Tygre impitoyable ?
Laisserez-vous sans nul secours
Perir vos vacheres amours ?
Non mamie, Jupin n'est mie
Une lemure, une lamie,
Qui fasse du mal en tout lieu;
C'est, je me donne au diable, un Dieu
Assez affable, assez traittable;
C'est un Dieu qui n'est pas tant diable,
Ny tant machuré qu'on le fait;
Et de fait, d'un coup du sifflet
Qui pend toûjours à sa ceinture,
Il fait venir son Fils Mercure,
Auquel il commande soudain
De courir plus viste qu'un Dain,
Pour coupper seulement la teste
Au Sieur Argus, et par le feste
Le racourcir de quelques doigts,
Pour luy monstrer une autre fois
D'estre plus discret et plus sage,
Et que pour vivre en bon ménage
Avec des gens comme les Dieux,
Il ne faut pas avoir tant d'yeux.
Ce dit, l'obeïssant Mercure,
Fort gentil Fils de sa nature,
Et plus qu'un sçavant Medecin,
Exercé dans maint assassin,
Prend une flutte, une serpette,
Et du sablon dans sa pochette
Saisit un manche de balay,
Monte dessus, et sans delay
Fond au milieu de l'Oemonie,
Où apres, sans ceremonie.
S'estre des habits habillé
D'un Pasteur par luy dépoüillê,
Tire en flutant vers la contrée
Où le Sieur Argus sur la Prée,
Sans craindre ny ras, ny tondu,
Disnoit, assis dessus son cu.
À peine avoit un Air champestre
Mercure, plus traistre qu'un Raitre,
Entonné sur son flageolet,
Qu'Argus quittant sa souppe au laict
Pour l'oüyr se fait tout oreille,
Et charmé par cette merveille,
Accoste le feint Pastoureau,
Luy demande quelque Air nouveau,
La Boivinette, ou la Chabotte,
Mais il luy sonne une Gavotte,
Dont il le ravit tellement,
Qu'à Mercure il cede à l'instant,
Pour reposer ses dives pieces,
La moitié du lieu de ses fesses,
Puis il luy donne du chaudeau,
Des figues, des noix, du gasteau,
Puis luy presente la bouteille,
Et le convie à la pareille
De boire un coup à sa santé;
Ce que par Mercure accepté,
Au diable si dans la Ferriere
Il luy laisse ny vin ny biere.
Ce fait, apres avoir osté
Le couvert, et dit Laudaté,
Le brave avanturier Mercure,
À qui le temps dure et redure,
De vistement les yeux gommer
D'Argus, pour le Jeanguillaumer,
Remet son flageolet en bouche,
Et de ses doigts plus dru que mouche
Retouche sur son instrument
Maint Air agreable et charmant,
Maint pieux et devot Cantique,
Entr'autres cet Air angelique,
(Ha ! mon Berger tant il est beau,
Je l'aimeray jusqu'au tombeau.)
Mais il n'est Cantique qui tienne,
Il perd et son temps et sa peine;
Car si des yeux de ce matin,
Qui ne dort non plus qu'un Lutin,
Par fois quelque quartier sommeille,
Autre quartier soudain s'éveille,
Lequel éveillé, sur ma foy,
Ne dormiroit pas pour le Roy;
Bien au contraire, il luy demande
Avec ardeur et presse grande,
Si pour joüer de ce baston
Qui fredonne d'un si haut ton,
Et qui fait si bien lire-lire,
Un qui ne sçauroit pas bien lire,
Feroit aussi lire-liron;
Puis luy demande si Vignon,
Le grand Autheur de l'Angelique,
L'est aussi de cette fabrique;
À qui cil qui pour yeux dompter
N'est que trop content d'en conter,
Plus aise mille fois qu'un Comte
D'une Comté, luy fait ce conte,
Duquel en voicy l'argument.
Sirinx d'où vint cet instrument,
(dit-il) qu'ores Flutte on appelle,
Fut jadis une Damoiselle
Qu'un tres-gros Satyre barbu,
Nommé Pan, vouloit voir à nu,
Mais elle ne le vouloit mie,
Dont il enrageoit tout en vie;
Il avoit beau la chatoüiller,
La toüiller et la patroüiller,
Et pour ammolir son courage,
Mettre sa chair à l'étallage,
Toûjours le malheureux bouquin
Estoit traitté comme un coquin;
Il avoit beau d'amour malade
Luy lancer amoureuse oeillade,
Trepigner, et d'un pied velu
Battre le champ du Pré pelu,
Et luy faire gentil hommage
De son Oyseau pour mettre en cage,
Toûjours le malheureux bouquin
Estoit traitté comme un coquin;
Par fois la trouvant dans la plaine,
Il luy disoit, contant sa peine,
Nymphe apres qui je vais usant
La corne de mon pied puant,
Où fuyez-vous, Nymphe adorable ?
Pour estre cornu comme un diable,
Suis-je le seul diable cornu ?
Pour aller en tout temps tout nu,
En suis-je moins considerable ?
Et pour ma trogne remarquable,
En dois-je estre plus mal venu ?
Suis-je pas droit ? suis-je pas dru ?
En moy que trouvez à dire ?
Ne suis-je pas un beau Satyre,
Un beau chevre-pied trepelu,
Bien mammelu, bien fafelu ?
Mais de tout ce joyeux martire
La Nymphe n'en faisoit que rire;
Et toûjours le pauvre bouquin
Estoit traitté comme un coquin.
Ce que ne pouvant davantage
Souffrir, un jour qu'en un bocage
Elle dénichoit des moyneaux,
Le rusé chevre-pied deschaux
S'estant mussé sous une roche,
Tout doucement d'elle s'approche,
Et finement sans estre veu,
L'ayant surprise au dépourveu,
Sur son tant joly pucelage
Fond, en disant ha ha fromage,
Est-ce ainsi la Fille au patin,
Qui me fuyez soir et matin,
Que vous dédaignez le visage
Des enfans de nostre village ?
Or mettrons, Nymphe au blanc tetin,
Viljuif en Quinpercorantin;
Or sçaurons sans plus de remise
Ce qui git dessous vostre frise
Ce dit, il l'alloit deflorer;
Mais quand ce vint au perforer,
Embrassant la Nymphe trotiere,
Il ne treuve plus que floutiere;
Car déja les Nymphes ses soeurs,
Les Nayades, voyant ses pleurs,
(à ses voeux) la pauvre affligée
En des roseaux l'avoient changée;
Dequoi le Dieu plus étonné
Qu'un borgne desemblastonné,
Pour avoir qui sa peine flatte,
Prend des roseaux sa pleine patte,
Dont il fit ce bel instrument,
Comme vous voyez, plus charmant
Que tabourin ny que trompette,
Cousin germain de la musette
Du Rebec, et proche parent
Des beaux sifflets de sainct Laurent,
Que siffre aujourd'hui l'on appelle,
Duquel se sert la Colonnelle
Des Suisses, pour tambour battant
Chanter son amoureux tourment;
Il en eut conté davantage;
Mais voyant le caut personnage,
À qui le temps duroit beaucoup,
Que ce compte à dormir debout,
Estoit encor, ne vous déplaise,
Assez bon pour dormir en chaise,
Voyant tout l'ost presque endormi;
Pour achever, Maistre Remi,
D'un bichet de sablon d'Estampes,
Il en grava toutes ses lampes;
Ce fait, prend sa serpe, et puis sap
D'un seul coup lui souppe le cap
Rasibus de la gargamelle,
Qui fut un beau coup d'alumelle,
Duquel le pauvre trépassé
S'en fut pourtant tres-bien passé;
Puis apres avoir sur l'herbette
Essuyé sa joli serpette,
Et retourné fort à propos
Ses habits, de peur des Prevosts,
Vers l'Olimpe ses chausses tire,
Si soudain, que le pauvre Sire
N'auroit sceu, si bien émouché,
L'attraper pour une Duché,
Ny pas mesme pour un Empire;
Vraiment il n'a pas dequoi rire,
Il en tient dedans le chignon,
Et cette braguarde Junon
Qui dans le Ciel fait tant la Dame,
N'a pas sceu defendre sa trame
De la fiere soeur de Cloton;
Il est és manoirs de Pluton,
Où l'on lui chante bien sa game,
Dont Junon pleure dans son ame;
Mais bonnes gens, qu'y feroit-on ?
Lors voyant ladite Junon
Que son Barbier n'a point d'emplastre
Pour son Pasteur plus froid que plastre;
Pour ne laisser pas sans honneur
Apres sa mort si bon Pasteur,
Elle ramasse les prunelles
De ses yeux jadis si fidelles,
Et pour glorieux monument
Les fiche au cul tout justement
Des Pans qui portent sa littiere,
Où pour n'estre pris par derriere;
Ils observent diligemment
De quel costé viendra le vent.

 

 


Charles Coypeau d'Assoucy

 

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