Charles Coypeau d'Assoucy (1605-1677)
Recueil: Les métamorphoses d'Ovide En Vers Burlesques (1650)

Fable VI - Lycaon changé en loup


 

Le Grand Maistre de l'Empirée,
Du haut de sa Maison dorée,
Par un jour que le blond Phoebus
En faveur de nos Choux cabus,
Avoit rendu l'Air sans nuage,
Apperceut l'horrible ménage
Que faisoient ses diables d'Humains,
À coups de dents, et coups de mains,
Dont Jupiter, chose effroyable,
Jura plus de cent fois mordiable,
D'ire tout son sang se troubla,
Et soudain les Dieux assembla,
Lesquels au premier coup de cloche,
Tant les grands Dieux portans galoche,
Que ceux qui galoches n'ont point,
Ny de colets à leur pourpoint,
Vindrent au lieu de l'Assemblée.
Lors Juppin, la face troublée,
Repensant à l'indignité
De cil qui plein de cruauté,
De sa Deïté massacrée,
Cuida faire galimaffrée;
Par trois fois la teste croula,
Dont si fort l'Olympe trembla,
Qu'avec un autre coup de teste,
Le gros mur qui porte le feste,
S'en alloit voler en éclats,
Si les Dieux n'eussent dit helas.
Lors leur susdit Seigneur et Pere
Refrenant un peu sa colere,
Leur dit; Depuis mes Citadins,
Que pour defendre nos boudins,
Le lard et le vin de nos pipes,
Qui fait tres-grand bien à nos tripes,
Je pris le tonnerre à la main,
J'ay eu des affaires tout plain;
J'ay veu ces Larrons à ma porte,
Ces Geans que le Diable emporte,
Avec leur Corporal Typhon,
Lequel de cent bras de Griffon
Me donna vilaine acolade,
Témoin cette épaule malade,
Et ce mien present hoqueton,
Où la figure d'un baston
Reste emprainte, par saincte Barbe;
Mais je vous jure par ma Barbe,
Dont j'ay quatre bon pieds encor,
Qu'un Asne qu'on sangle trop fort,
Beaucoup moins que moy sent de peine;
Car bien que cette Gent hauteine
À qui j'ay, malgré leurs ergots,
Grace à Dieu, cassé les gigots,
Fissent pour lors le Diable à quatre,
Pourtant je n'avois à combrattre
Que quelque trouppe de brigans;
Mais aujourd'huy, mes chers Enfans,
J'ay bien d'autre fil à retordre,
Pour un Chien qui nous vouloit mordre.
Ores j'en voy plus de cinq cens
Qui là bas nous montrent les dents;
J'ay beau leur crier hole, hole,
Tay briffaut, miraut, carmagnole,
Au Diable l'un de ces Mastins,
Qui pour nous lescher les patins,
De s'avançer prenne la peine;
Sur mon ame j'ay la migraine
Quand je voy ces Croquelardons,
Ces diables de Croquedindons,
Qui s'entrechatoüillent la coine,
Sans nous chanter une Antiphoine,
Ny nous presenter en cent ans
Une pauvre livre d'encens,
Un Boeuf, un Bouc, une Genisse,
Ny seulement une Escrevisse;
Mais je jure mon grand juron,
Qu'ils s'en repentiront don don;
J'applatiray leur bedondaine,
Don don farlarira dondaine;
Je leur couperay les rognons,
Je leur gresleray leurs ognons,
Je renverseray leur aveine,
Et les carderay comme laine,
Ou j'y perdray mon capuchon,
Mon torchon, mon coqueluchon,
Et ma grande foudre bastarde
Qu'és flancs en mon ire je darde.
Mais avant que d'entrer en jeu,
Convient par avant que par feu
Fassions jambe et cuisse rotie,
Separer le grain de l'ortie;
Nous avons dedans ces bas lieux
Cent gentijolis petits Dieux,
Cent gentis petits trousses cottes,
Lesquels nous ont graissé nos bottes,
Qu'il ne faut pas faire griller;
Nous en avons bien un millier
De toute âge et de toute sorte,
Dieux de la Cour, Dieux de la Porte,
Dieux de la Figue et du Cabas,
Les Dieux des Chiens, les Dieux des Chats,
Des Grenoüilles, et des Tortuës,
Les Dieux des Choux et des lettuës,
Des feüilles, des fruits, et des fleurs,
Bref des Dieux de toutes couleurs,
Jusqu'à des petits Dieux de paille,
Qui n'ont pas assez belle taille,
Ny competante dignité,
Pour s'asseoir à nostre costé,
Ny pour manger à nostre Table;
Parquoy, chose bien raisonnable,
C'est de leur trouver Attelier
Armé d'auge et de ratelier,
Pour en seureté de machoire,
Y manger, y dormir, et boire.
Mais las ! où trouver seureté
Parmy l'Homme et sa cruauté,
Si ma Divinité supréme,
Si ma Personne, si moy-même,
Avecque mon bras punissant,
Et mon Sceptre resplendissant,
Mon foudre et mon Oyseau de proye,
Avec toute ma petite oye,
Chez Lycaon, diable enragé,
J'ay bien failly d'estre mangé,
Et d'estre mis à l'étuvée ?
À ces mots toute l'Assemblée,
Les Dieux fremissans et pantois,
Firent de grands signes de Croix,
Chacun se regardant en face,
Blâmans de Lycaon l'audace,
Disant qu'il dût estre brûlé,
Pendu, noyé, broyé, pillé,
Faisant haut bruit et grand murmure;
D'autant que pour venger l'injure,
Chacun ou de griffe, ou de dent,
Luy vouloit donner un fendant,
Mars l'avaller comme une otarde,
Pallas comme un grain de moutarde,
Cupidon comme un oeuf mollet,
Venus comme un petit poulet,
Vulcanus comme une étincelle,
Phebus comme un bout de chandelle,
Et Cerés comme un grain de blé;
Bref il devoit estre sablé,
Criblé, sallé, mis sur la grille,
Puis mangé comme une morille.
Mais enfin apres long debat,
Juppin pour finir tel Sabat,
Trepignant des pieds dans sa Chaire,
Aux Dieux commanda de se taire;
Auquel commandement plus cois
Que des Dieux de platre ou de bois,
Sans remuer ny pied ny langue,
Demeurerent. Lors sans harangue
Juppiter poursuivit ainsi,
Ne vous en mettez en soucy,
Rengaignez, Trouppes immortelles,
Vos coutelas et vos rondelles;
Il est tondu, dourdé, bardé,
Il est greslé, cuit, et frondé;
Mais apprenez et son offence,
Son châtiment, et ma vengeance.
Cependant que je calculois
Et comptois avec mes doigts
Combien la Mer dedans sa plaine
Roule de petits grains d'arene,
Combien sont de feüilles aux bois,
De feux au Ciel, d'heures aux mois,
D'épics aux champs, de Veaux en Brie,
Et de pommes en Normandie,
Passant ainsi, mes bon Amis,
Le temps dedans un beau Tamis,
J'ignorois les crimes du Monde,
Quand de mon extase profonde
Reveillé par un camoufflet,
D'un Page j'appris tout le fait,
Lequel me conta de leur vie,
De leurs vertus et prud'homie,
Bien plus que vous n'avez oüy;
Mais je luy dis, au diable oüy,
Tu m'en voudrois bien faire à croire;
Il en jura, je luy dis voire;
Mais pour m'en rendre plus certain,
Je resolus un beau matin,
Apres avoir chanté Matine,
Pris deux oeufs, et beu ma chopine,
D'aller un peu voir et sçavoir
Si le Monde estoit blanc ou noir.
Je pris donc cinq doigts dans ma destre,
Autant dedans ma main senestre,
Un pied dedans châque chausson;
Déguisé de cette façon,
Fromage en poche, et gourde pleine,
Je traversay montagne et plaine;
De vous dire en passant Pays
Les injustices que j'y vis,
Combien dans châque Hostellerie
J'avallay de sale voirie,
Combien je beus de ripopé,
Combien de fois je fus tappé,
Vollé, grippé, mis en chemise,
Je ne sçaurois; qu'il vous suffise
De sçavoir qu'un jour cheminant
Mon chemin droit vers l'Orient,
Passant les Monts de l'Arcadie,
Je me rendis, que Dieu maudie,
Chez le cruel Prince du Sang
Lycaon, vilain perce-flanc;
C'estoit l'heure que l'oeil du Monde
Moüillant sa paupiere dans l'onde,
Convioit le las Pelerin
À moüiller aussi dans le vin
Son pain, pour apres sans lumiere
Comme luy fermer la paupiere;
J'entray, disant, Dieu soit ceans,
On répondit, et vous dedans.
Que demandez-vous, nostre Sire ?
Ils ne pensoient pas si bien dire.
Adonc je leur manifesté
Un coin de ma Divinité,
Leur montrant par une ouverture
Un petit bout de ma nature.
Lors ils coururent à l'encens,
Et comme fins et de bon sens
M'apporterent belles offrandes,
Beau pain benist, belles guirlandes;
J'en eus presque chargé mon cou;
Mais Lycaon, meschant et fou,
Tenant les mains dans sa pochette,
Chantoit, appellez Robinette,
Et rioit luy seul plus que deux,
De leurs presens et de leurs voeux,
Disant qu'il vouloit faire épreuve
Avec un peu de paste neufve,
Combien une Divinité
Tient de longueur dans un pasté;
Qu'il connoissoit bien à ma mine
Que je serois viande Divine,
Bien que je fusse un peu haslé,
Qu'un Dieu bien cuit et bien sallé
Estoit mets tout à fait celeste;
Qu'il estoit serviteur au reste
Bien humble de ma Deité;
Et que s'il en avoit douté,
Deux bonnes heures d'étuvée
Rendroient ma nature éprouvée.
Que fit-il plus ? ce reprouvé,
Ce Bastard, cet Enfant trouvé,
Ce Perfide, ce Deicide,
Digne de la masse d'Alcide,
Le plus effroyable repas
Dont il soit memoire là bas,
Depuis que de bonne memoire
L'Homme là bas porte machoire,
Lors qu'assis entre deux treteaux
Entre les dents et les couteaux,
La chair preste d'estre bauffrée,
Tremblante, me fut apportée,
Soudain les plats je découvris.
Mais ô Dieux ! qu'est-ce que j'y vis ?
Au lieu de Perdrix ou de Cailles,
Je vis deux ou trois grandes tailles
Des fesses d'un Homme empallé,
Un quartier de Marchand sallé,
Item la ratte et la fressure
D'un pauvre Soldat d'avanture,
Le coeur d'un homme poignardé,
Le tout bien proprement lardé
Du lard de la luisante coine
D'un tres grand, gros, gris, et gras Moine.
Ô Dieux ! quelle inhumanité !
Pensant à cette cruauté,
Les crins me dressent en la teste,
Et le sang me fige en la creste,
J'en suis encor tout étonné,
Si j'eusse pû, j'eusse tonné,
Mais je n'avois point mon tonnerre
Pour mettre ce logis par terre,
Faute dequoy pris un tison;
Mais pour n'estre brûle-maison
Appellé, ny brûle-ménage,
Je tins au tison ce langage.
Tison de bien, tison d'honneur,
Va-t'en, au nom de ton Seigneur,
Mettre le feu de place en place,
Sans épargner pou ny paillace.
Au mesme instant le Tison part,
Et ferit tout de part en part;
Soudain les flâmes allumées,
Contre ce logis animées,
Font jusques aux grillons griller,
Les Rats sont contraints de driller,
Tous les Valets gagnent la porte;
Lycaon, que la rage emporte,
Prend des premiers la clef des champs,
Où par de funestes accens
Voulant plaindre son avanture,
N'ayant que d'un Loup la figure,
Ne sçait plus rien articuler;
Il heurle, et ne sçait plus parler;
Son coeur qui se plût au carnage,
Conservant sa premiere rage,
Affila ses cruelles dents,
Pour sur des trouppeaux innocens
Continuer la boucherie
Qu'il exerçoit dans sa furie
Dessus ses hostes malheureux;
Ses bras qui ce croy-je estoient deux,
Soudain en jambes se changerent,
Et ses vestemens se muerent
En rude et vilaine toison
De la couleur du poil grison
Qui couvroit son defunt visage;
Bref dedans sa hure sauvage,
Comme dans le feu de ses yeux,
Paroissent encor furieux;
Les traits de son Ame colere,
Qui violente et sanguinaire,
Exerce le mesme mestier
Dans un corps de Loup carnacier.

 

 


Charles Coypeau d'Assoucy

 

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