Mellin de Saint-Gelais (1491-1558)

D'un bracelet de cheveux



Cheveux, seul remède et confort
De mon mal violent et fort ;
Cheveux longs, beaux et desliés,
Qui mon cœur tant plus fort liez,
Que, plus il veut tendre et tacher
A se distraire et destacher,
Plus il est pris et mieux estraint,
Plu8 est de demeurer contraint.
Cheveux, qui fûtes couverture
Du grand chef d'ceuvre de nature,
Où le ciel qui tout clost et voit,
A monstre combien il pouvoit
Assembler en petite espace
De beauté et de bonne grâce;
Cheveux, qui sceustes estranger
Moy de moy mesme et me changer
Tellement que je vous accuse
De TefFect de ceux de Méduse,
M'ayant rendu un corps sans âme
Ou plustost une vive flamme,
Ha ! cheveux, n'ayez nul regret
De vous voir en lieu si secret,
Loing de vos compaignons dorés
Oui du monde sont adorés.
Celle qui en peut ordonner
A moy vous a voulu donner,
Pour appuy de ma foible vie,
Dont vous n'auriez deuil ny envie,
Si vous saviez, ô blonds cheveux,
Quel est le bien que je vous Veux !
Le moindre de vous m'est plus cher
Qu'autre amie entière toucher,
Ne que les trésors assemblés
Du fin or que vous ressemblez.
Et toutefois pour estre miens,
N'ayez peur de n'estre point siens:
Elle ne congnoist rien à soy
Plus sien, que ce qui est à moy.
Au moins, en ceste qualité,
Avons-nous quelque égalité.
Si un ciseau vous fait outrage,
Un dard m'en fait bien d'avantage.
Il y pert à mon œil estaint.
Et vous n'en changez point de teint,
Qui vous est plaisir et bonheur,
Et perte de si grand honneur;
Ceux dont vous estes séparés
Sont peut-estre ores mieux parés,
Mais si sont-ils en ce danger
De se voir par le temps changer,
Et d'or en argent convertis,
De quoy vous estes garentis,
Car temps ne vous y peut contraindre.
Et quand bien vous le pouriez craindre,
Cheveux, vous estes à un maistre,
Qui vous oseroit bien promettre,
Et au chef dont estes venus,
Qu'en lieu de devenir chenus,
Il fera que le cours des ans
Vous rendra plus beaux et plaisans.
On ne voit point, pour forts hivers,
Les lauriers moins feuillus et verds.
Le beau Dieu qui en print la cure
Les défend de céleste injure,
Et je feray tant, si je puis,
Aydé de celle à qui je suis,
Que mes honneurs vous seront tels
Qu'elle et vous serez immortels.

 


Mellin de Saint-Gelais

 

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