Clément Marot (1496-1544)
Recueil: L'Adolescence clémentine (1532) - Epistre V

Epistre à la Damoyselle negligente
de venir veoir ses Amys



Ne pense pas, tresgente Damoyselle,
Ne pense pas, que l'amour, et vray zelle,
Que te portons, jamais finisse, et meure
Pour ta trop longue, et fascheuse demeure.
Fascheuse est elle, au moins en noz endroictz:
Mais ores quand quarante ans te tiendrois
Loing de nos yeux, si auroit on (pour veoir)
Records de toy, et dueil de ne te veoir:
Car le long temps, ne l'absence loingtaine
Vaincre ne peult l'amour vraye, et certaine.
Si t'advisons, nostre Amye treschere,
Que par deça ne se faict bonne chere,
Que de t'avoir on ne face ung souhaict.
Si l'ung s'en rit, si l'aultre est à son haict,
Si l'ung s'esbat, si l'aultre se recrée,
Si tost qu'on tient propos, qui nous agrée,
Tant que le cueur de plaisir nous sautelle,
Pleust or à Dieu (ce dit l'on) qu'une telle
Fust or icy. L'autre dit, pleust à Dieu
Qu'un Ange l'eust transportée en ce lieu:
Mais pleust à Dieu (dit l'autre) que Astarot
L'apportast saine, aussi tost qu'un garrot.
Voila comment pour ta fort bonne grâce,
Il n'y a cil, qui son souhaict ne face
D'estre avec toy: et ne pouvons sçavoir
Pourquoy ne viens tes Amys deça veoir:
Le chemin n'est ny fascheux, ny crotté,
En moins d'avoir dict un Obsecro te,
En noz quartiers tu seroys arrivée:
Pourquoy donc es de nous ainsi privée ?
Possible n'est, que bien t'excuser sceusses.
Brief, nous vouldrions qu'aussi hault voller peusses,
Que le hault mont d'Olympe, ou Parnasus:
Ou qu'eusses or le Cheval Pegasus,
Qui te portast vollant par les Provinces:
Ou qu'à present à ton vouloir tu tinses
Par le licol, par queue, ou par collet,
Le bon Cheval du gentil Pacollet:
Ou que ton pied fust aussi legier doncques,
Que Bische, ou Cerf, que le Roy chassa oncques:
Ou que de là jusque icy courrust eau,
Qui devers nous te menast en Bateau.
Lors n'auroys tu bonne excuse jamais,
Mais sçauroit on si en oubly tu mectz
Les tiens Amys. Car adonc ne tiendroit,
Fors seulement au bon vouloir, et droit,
Et à l'amour, qui aux gens donne soing
De venir veoir les Amys au besoing:
Quoy qu'envers toy n'avons paour qu'elle faille,
Mais prions Dieu qu'excuse te defaille,
Affin qu'amour, qui onc ne te laissa,
A noz desirs t'améine par deça.

 


Clément Marot

 

03clementmarot