Clément Marot (1496-1544)
Recueil: L'Adolescence clémentine (1532) - Epistre III

L'Epistre du Camp d'Atigny,
à ma dicte Dame d'Alençon



Subscription
Lettre mal faicte, et mal escripte
Volle de par cest Escripvant
Vers la plus noble Marguerite,
Qui soit point au Monde vivant.

Epistre
La main tremblant dessus la blanche carte
Me voy souvent: la plume loing s'escarte,
L'encre blanchist, et l'esprit prend cesse,
Quand j'entreprens (tresillustre Princesse)
Vous faire escriptz: et n'eusse prins l'audace,
Mais Bon Vouloir, qui toute paour efface,
M'a dict, crains tu à escrire soubdain
Vers celle là, qui oncques en desdain
Ne print tes faictz ? ainsi à l'estourdy
Me suis monstré (peult estre) trop hardy,
Bien congnoissant neantmoins que la faulte
Ne vient sinon d'entreprise trop haulte:
Mais je m'attens, que soubz vostre recueil
Sera congneu le zele de mon vueil.
Or est ainsi, Princesse magnanime,
Qu'en hault honneur, et triumphe sublime
Est florissant en ce Camp, où nous sommes,
Le Conquerant des cueurs des gentilz hommes:
C'est Monseigneur par sa vertu loyalle
Esleu en Chef de l'Armée Royalle:
Où l'on a veu de guerre maintz esbatz,
Adventuriers esmouvoir gros combatz
Pour leur plaisir sur petites querelles,
Glaives tirer, et briser allumelles,
S'entrenavrant de façon fort estrange:
Car le cueur ont si treshault, qu'en la fange
Plustost mourront, qur fuyr à la lice:
Mais Monseigneur, en y mettant police,
A deffendu de ne tirer espée,
Si on ne veult avoir la main couppée.
Ainsi Pietons n'osent plus desgayner,
Dont sont contrainctz au poil s'entretraîner,
Car sans combatre ilz languissent en vie:
Et croy (tout seur) qu'ilz ont trop plus d'envie
D'aller mourir en guerre honnestement,
Que demourer chez eulx oysivement.
Ne penses pas, Dame, où tout bien abonde,
Qu'on puisse veoir plus beaulx hommes au Monde:
Car (à vray dire) il semble que Nature
Leur ait donné corpulence, et facture
Ainsi puissante, avec le cueur de mesmes,
Pour conquerir sceptres, et diadesmes
En mer, à pied, sur Coursiers, ou Genetz:
Et ne desplaise à tous noz Lansquenetz,
Qui ont le bruit de tenir aulcun ordre,
Mais à ceulx cy n'a point tant à remordre.
Et qui d'entreulx l'honnesteté demande,
Voyse orendroit veoir de Mouy la bande
D'adventuriers yssus de nobles gens.
Nobles sont ilz, pompeux, et diligens,
Car chascun jour au camp soubz leur enseigne
Font exercice, et l'ung à l'autre enseigne
A tenir ordre, et manier la picque,
Ou le verdun, sans prendre noise, ou picque.
De l'autre part, soubz ses fiers Estandars
Meine Boucal mille puissans souldars,
Qui ayment plus debatz, et grosses guerres,
Qu'un laboureur bonne paix en ses terres.
Et que ainsi soit, quand rudement se battent,
Advis leur est proprement qu'ilz s'esbatent.
D'autre costé, voyt on le plus souvent
Lorges jecter ses enseignes au vent,
Pour ses Pietons faire usiter aux armes,
Lors que viendront les perilleux vacarmes:
Grans hommes sont en ordre triumphans,
Jeunes, hardis, roydes comme Elephans,
Fort bien armez corps, testes, bras, et gorges:
Aussi dit on, les Hallecretz de Lorges.
Puis de Mouy, les nobles, et gentilz:
Et de Boucal les hommes peu craintifz:
Brief, Hercules, Montmoreau, et d'Asnieres
Ne font pas moins triumpher leurs bannieres:
Si que deça on ne sçaroit trouver
Homme, qui n'ayt desir de s'esprouver,
Pour acquerir par hault oeuvre bellique
L'amour du Roy; le vostre frere unique,
Et par ainsi, en bataille ou assault
N'y aura cil, qui ne prenne cueur hault,
Car la pluspart si hardiment yra,
Que tout le reste au choc s'enhardira.
De jour en jour une campagne verte
Voit on icy de gens toute couverte,
La picque au point, les tranchantes espées
Ceintes à droit, chausseures decoupées,
Plumes au vent, et haulx fiffres sonner
Sus gros tabours, qui font l'aer resonner:
Au son desquelz, d'une fiere façon,
Marchent en ordre, et font le limaçon,
Comme en batalle, affin de ne faillir,
Quand leur fauldra deffendre, ou assaillir,
Tousjours crians, les Ennemis sont nostres:
Et en tel poinct sont les six mil Apostres
Deliberez soubz l'espée Sainct Pol,
Sans que aulcun d'eulx se monstre lasche, ou mol.
Souventesfois par devant la maison
De Monseigneur viennent à grant foison
Donner l'aubade à coups de Hacquebutes,
D'un aultre accord qu'Espinettes, ou Flustes.
Apres oyt on sur icelle praerie
Par grand terreur bruire l'Artillerie,
Comme Canons doubles, et racoursiz,
Chargez de pouldre, et gros bouletz massifz,
Faisans tel bruit, qu'il semble que la Terre
Contre le Ciel vueille faire la guerre.
Voylà comment (Dame tresrenommée)
Trimphamment est conduicte l'Armée,
Trop mieulx aymant combatre à dure oultrance
Que retourner (sans coup ferir) en France.
De Monseigneur, qui escrire en vouldroit,
Plus cler esprit que le mien y fauldroit:
Puis je sens bien ma plume trop ruralle
Pour exalter sa maison liberalle,
Qui à chascun est ouverte, et patente.
Son cueur tant bon gentils hommes contente,
Son bon vouloir gens de guerre entretient,
Sa grande vertu bonne justice tient,
Et sa justice en guerre la paix faict,
Tant que chascun va disant (en effect)
Voicy celluy tant liberal, et large,
Qui bien merite avoir Royalle charge,
C'est celluy là qui tousjours en ses mains
Tient, et tiendra l'amour de tous humains:
Car puis le temps de Cesar dict Auguste,
On n'a point veu Prince au monde plus juste.
Tel est le bruyt, qui de luy court sans cesse.
Entre le peuple, et ceulx de la noblesse,
Qui chascun jour honneur faire luy viennent
Dedans sa chambre, où maintz propos se tiennent,
Non pas d'Oyseaulx, de Chiens, ne leur aboys:
Tous leurs devis, ce sont Haches, Gros boys,
Lances, Harnoys, Estandars, Gouffanons,
Salpestre, Feu, Bombardes, et Canons:
Et semble advis à les ouyr parler,
Qu'oncques ne fut memoire de baller.
Bien escriroys encores aultre chose,
Mais mieulx me vault rendre ma lettre close
En cest endroit: car les Muses entendent
Mon rude stile, et du tout me deffendent
De plus rien dire, affin qu'en cuydant plaire
Trop long escript ne cause le contraire.
Et pour autant (Princesse cordialle,
Tige partant de la fleur Liliale)
Je vous supply ceste Epistre en gré prendre,
Me pardonnant de mon trop entreprendre,
Et m'estimer (si peu que le dessers)
Tousjours du rang de voz treshumbles serfz.
Priant celuy, qui les âmes heurées
Faict triumpher aux maisons Siderées,
Que son vouloir, et souverain plaisir
Soit mettre à fin vostre plus hault desir.




Clément Marot

 

03clementmarot