Mellin de Saint-Gelais (1491-1558)

Épitaphe de la belette d'une Damoiselle



Sous ceste menue herbelette
Gist la plus gentille Belette,
Et la mieux faisant son devoir
Que damoiselîe eut sceu avoir;
Car aussitôt qu'elle fust prise
Elle devint si bien apprise
Qu'à fuïr oncques ne tascha;
Par quoy point on ne l'attacha:
Mais eust liberté et loisir
D'aller partout à son plaisir.
Il n'y avoit chambre ne tour
Où le jour ne fist quelque tour;
De là s'en alloit aux vergers,
Et bien souvent par les bergers
Fust veue en ces forests prochaines
Visitant grands ouïmes et chesnes
Veoir si quelque nid ou couvée
Seroit point par elle trouvée.
Ainsi çà et là tracassoit
Tandis que le jour se passoit;
Mais gucres il ne luy advint
Qu'à souper elle ne revint.
Et lors à sa maistresse chère
Faisoit une si bonne chère
Qu'il sembloit qu'elle eust congnoissance
De luy devoir obéissance.
Et n'eust pris de là à demain
Vivres d'ailleurs que de sa main,
Que si Tinet le petit chien,
Qui estoit le plus ancien,
Venoit là pour y butiner :
Et elle de se mutiner,
Et de faire une rumeur grande,
Non pour l'amour de la viande
Seulement, ne de la saveur,
Mais pour défendre la faveur
De la damoiselle choisie,
Dont elle estoit en jalousie.
D'autre part ils estoyent contents
De donner mille passetemps :
L'un couroit, l'autre alloit après,
Et l'autre le suivoit de près y
Se mordant col, cuisse et oreille;
Oncques ne fut guerre pareille,
Mais ce qui plus d'elle plaisoit,
Estoit au soir quand on faisoit
Le lict de camp de sa maistresse:
La beste avoit bien ceste addresse
De laisser tout, et s'approcher
De peur d'aller ailleurs coucher;  
Ne la courtine estoit tendue
Plustost, qu'elle y estoit rendue.
O sage et heureux animal,
S'elle eust sceu le bien et le mal !
Combien d'hommes eurent envie
Sur elle et son heureuse vie,
Et eussent, pour y parvenir,
Voulu Belettes devenir.
Mais quoy ! il est fol qui espère
Voir chose entièrement prospère,
Et qui pense, avant son trespas,
Estre heureux ou ne Pestre pas.
Ceste heureuse Belette en somme
Mourut et je vous dirai comme.
Une fouine, de longue main
Voyant ce traictement humain,
Eust envie et mist en sa teste
De tuer la petite beste;
Si vinct de nuict et par surprise
Exécuta son entreprise,
Dont chacun mena si grand deuil,
Qu'on versa mainte larme d'ceil.
Mais sur tous sa povre maistresse
Sentit grande peine et destresse,
Et chargea grandement Muguet
Dont il n'avoit fait meilleur guet;
Lors envoya tous ses valets
Tendre mille lacz et collets.
Tous disposés pour la ruine
De la malheureuse fouine.
Cependant, pour dernier confort,
Elle faict mettre le corps mort
De la petite créature,
Sous la petite sépulture
Que vous pouvez voir icy près
Au pied de ce jeune cyprès;
Afin que l'arbre, se haussant,
La mémoire en aille croissant.

 


Mellin de Saint-Gelais

 

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