Quel est donc ce devoir, cette fête nouvelle,
qui pour dix jours entiers t'éloignent de mes yeux ?
Qu'importe à nos plaisirs l'olympe et tous les dieux,
et qu'est-il de commun entre nous et Cybèle ?
De
quel droit m'ose-t-on arracher de tes bras ?
Se peut-il que du ciel la bonté paternelle
ait choisi pour encens les malheurs d'ici-bas ?
Reviens de ton erreur, crédule éléonore.
Si tous deux égarés
dans l'épaisseur du bois,
au doux bruit des ruisseaux mêlant nos douces voix,
nous nous disions sans fin, je t'aime, je t'adore ;
quel mal ferait aux dieux notre innocente ardeur ?
Sur le gazon fleuri, si près
de moi couchée,
tu remplissais tes yeux d'une molle langueur ;
si ta bouche brûlante à la mienne attachée
jettait dans tous mes sens une vive chaleur ;
si mourant sous l'excès d'un bonheur sans
mesure,
nous renaissions encor, pour encor expirer ;
quel mal ferait aux dieux cette volupté pure ?
La voix du sentiment ne peut nous égarer,
et l'on n'est point coupable en suivant la nature.
Ce Jupiter qu'on
peint si fier et si cruel,
plongé dans les douceurs d'un repos éternel,
de ce que nous faisons ne s'embarrasse guère.
Ses regards déployés sur la nature entière
ne se fixent jamais sur
un faible mortel.
Va, crois-moi, le plaisir est toujours légitime ;
l'amour est un devoir, l'indifférence un crime.
Laissons la vanité, riche dans ses projets,
se créer sans effort une seconde vie
;
laissons-la promener ses regards satisfaits
sur l'immortalité ; rions de sa folie.
Cet abyme sans fond où la mort nous conduit
garde éternellement tout ce qu'il engloutit.
Tandis que nous vivons, faisons
notre élysée ;
l'autre n'est qu'un beau rêve inventé par les rois,
pour ranger leurs sujets sous la verge des lois ;
et cet épouvantail de la foule abusée,
ce tartare, ces fouets, cette
urne, ces serpents,
font moins de mal aux morts que de peur aux vivants.