Antoine Houdar De La Motte (1672-1731)
Recueil: Fables (1719)

Le Pélican et l’Araignée


 

Les animaux tiennent école ;
Docteurs regens, et docteurs aggrégés,
Ornés de leur fourure et par ordre rangés,
Tour à tour pour instruire y prennent la parole.
Chacun a son systême à donner sur les mœurs.
De quelque point chaque espéce est l’arbitre.
Tout y regente ; et c’est là qu’à bon titre
Les ânes mêmes sont docteurs.
Maint philosophe en cette classe
Apprit autrefois son métier.
Socrate en fut disciple ; il y tint bien sa place ;
L’esclave de Phrigie y fit un cours entier.
La Fontaine, digne héritier
Des cahiers de ce dernier sage
Y fit maint commentaire et décora l’ouvrage
D’un tour fin et naïf, sublime et familier ;
Solide et riant badinage ;
Oüi, c’est être inventeur que si bien copier.
J’ai fait aussi mon cours, et j’ai pris mes licences
Dans la même université.
Nouveau docteur, et moins accrédité,
J’en rapporte aux humains de nouvelles sentences.
Oüi, messieurs, c’est pour vous que le tout est dicté.
Nous pouvons tous tant que nous sommes,
Trouver ici de quoi corriger nos défauts ;
Et disciples des animaux
En apprendre à devenir hommes.
Pelican le solitaire,
Au pied d’un arbre sec avoit posé son nid.
Il avoit là maint petit,
Dont il faisoit son soin et sa plus douce affaire.
Un jour n’apportant point de pâture pour eux,
Le pauvre nid cria famine.
Que fait le pere oyseau ? De son bec généreux,
Lui-même il s’ouvre la poitrine ;
Et repaît de son sang le nid nécessiteux.
Que fais-tu là, lui dit, Arachné sa voisine ?
Je sauve mes enfans aux dépens de mes jours.
Ils seroient morts sans ce secours.
Eh ! Pauvre fou, repliqua l’araignée,
À ce prix-là pourquoi les secourir ?
Ne vaudroit-il pas mieux vivre encor sans lignée,
Que de laisser des enfans et mourir ?
On ne me prendra pas à pareille folie.
Tu me vois un peuple d’enfans ;
J’en ai fait au moins quatre cens ;
Je les mangerai tous, si dieu me prête vie,
Ma table sera bien servie,
Tant que la canaille vivra ;
Et nous en croquerons autant qu’il en viendra.
Le pelican frémit du discours effroyable ;
Il croit presque voir le soleil
Reculer, comme il fit, en un festin pareil.

Tais-toi, dit-il, tais-toi marâtre détestable.
De tes monstrueux apetits
Étonne la nature, en devorant ta race ;
Je meurs plus satisfait en sauvant mes petits,
Que je ne vivrois à ta place.
Rois choisissez (nous sommes vos enfans)
D’être aragnés ou pelicans.
Codrus sauva son peuple aux dépens de sa vie
Et Néron fit brûler Rome pour son plaisir.
Lequel de l’imiter vous fait naître l’envie ?
Hésiter, ce seroit choisir.

 

 


Antoine Houdar de La Motte

 

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