Antoine Houdar De La Motte (1672-1731)
Recueil: Fables (1719)

Le Renard et le Chat


 

Faire parler les animaux,
Ce ne fut pas tout l'art des mensonges d'Esope:
Dans ses contes il dévelope
Leurs apetits divers, leurs instincts inégaux.
Il faut à la nature être toujours fidele;
Ne point faire du loup l'allié des brebis;
Ne point vanter les chants de Philomele,
Après qu'elle a fait ses petits.
Comme d'un homme peint quand le portrait ressemble,
On dit que c'est lui-même à la parole près;
Prenant de l'animal les véritables traits,
Faites dire au lecteur: c'est bien lui, ce me semble;
Voilà mon drôle, le voilà;
S'il ne parloit, je croirois le voir là.
La fable ne veut rien de forcé, de bizarre.
Par exemple, je me déclare
Pour le renard gascon qui renvoye aux goujats
Des raisins murs qu'il n'atteint pas:
Mais il n'a plus sa grace naturelle
Avec la tête sans cervelle.
Son mot est excellent. D'accord:
Mais un autre devoit le dire.
Là-dessus, dira-t-on, n'aurez vous jamais tort ?
Sans doute, je l'aurai; mais alors ma satyre
Tombera sur moi; j'y souscris.
Qu'on me l'applique sans scrupule.
Veux-je de toute faute exempter mes écrits ?
Je ne suis pas si ridicule.
Qui voudrait écrire à ce prix ?
Le renard et le chat faisant voyage ensemble,
Par maints discours moreaux abrégeoient le chemin.
Qu'il est beau d'être juste ! Ami, que vous en semble ?
Bien pensé, mon compere: et puis discours sans fin.
Sur leur morale saine éloge réciproque;
Quand à leurs yeux, maître loup sort d'un bois.
Il fond sur un troupeau, prend un mouton, le croque
Malgré les cris et les abois.
Ô, s'écria le chat, ô l'action injuste !
Pourquoi devore-t-il ce paisible mouton ?
Que ne broutoit-il quelque arbuste ?
Que ne vit-il de gland, le perfide glouton ?
Le renard rencherit contre la barbarie;
Qu'avoit fait le mouton pour perdre ainsi la vie ?
Et pourquoi le loup ravissant
Ne vivoit-il pas d'industrie,
Sans verser le sang innocent ?
Leur zèle s'échauffoit, quand près d'une chaumine
Arrivent nos scandalizés.
Une poule de bonne mine
Du vieux docteur renard frappe les yeux rusés.
Plus de morale; il court, vous l'attrape et la mange:
Tandis qu'un rat qui sortoit d'une grange,
Assouvit aussi-tôt la faim
Du chat, qui jusques-là s'était crû plus humain.
Non loin de là, demoiselle araignée,
Qui de sa toile vit le coup,
Raisonnoit d'eux, comme ils faisoient du loup:
Une mouche à son tour n'en fut pas épargnée.
Nous voilà bien. Souvent nous condamnons autrui.
Que l'occasion s'offre; en fait-on moins que lui ?

 

 


Antoine Houdar de La Motte

 

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