Antoine Houdar De La Motte (1672-1731)
Recueil: Fables (1719)

Les Dieux d’Egypte


 

Dans l'égypte jadis toute bête était dieu;
Tant l'homme au contraire était bête !
Tel animal ailleurs, qui n'a ni feu ni lieu,
Avait là son temple et sa fête.
On avait fait un jour dans le temple du chat
D'un rat blanc et sans tache un pompeux sacrifice.
Le lendemain, c'est le tour du dieu rat:
Il faut, pour le rendre propice,
Qu'à ses autels un chat périsse.
Maître matou marchait de festons couronné,
Et de prêtres environné.
Du dieu rat jusqu'aux cieux on portoit la loüange.
Strophe, antistrophe, épode, harmonieux ramas:
Petits faits et grands mots; pindarique mélange.
Chacun priait le dieu de menager sa grange.
Ne nous punissez point des insultes des chats,
Disait-on: que le sang de celui-ci vous vange.
Lui dieu ! Disoit le chat. Et ! Vous n'y pensez pas:
Qui suis-je donc moi qui le mange ?
Hier c'était pour moi que fumait l'encensoir;
Aujourd'hui mon trépas vous paraît legitime.
Pourquoi passer ainsi du blanc au noir ?
J'étais dieu; me voilà victime.
Reproche embarrassant qu'on ne résolut point.
Nous sommes tous d'égypte, et leur mode est la nôtre.
Quels sont nos dieux ? Nos passions,
Que suivant les occasions
Nous immolons tour à tour l'une à l'autre.

 

 


Antoine Houdar de La Motte

 

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