Pierre de Ronsard (1524-1585)
Recueil : La Philosophie

Hymne des étoiles



... En vain l'homme de sa prière
Vous tourmente soir et matin;
Il est traîné par son Destin,
Comme est un flot de sa rivière,
Ou comme est le tronçon
D'un arraché glaçon
Qui roule à la traverse,
Ou comme un tronc froissé,
Que le vent courroucé
Culbute à la renverse...
L'un meurt au métier de la guerre
Noirci d'un poudreux tourbillon,
L'autre pousse d'un aiguillon
Les boeufs au travail de sa terre;
L'un vit contre son gré
Pressé d'un bas degré,
Qui tend à chose haute;
Le mal est défendu,
L'innocent est pendu
Qui ne fit jamais faute.
Telle est du Ciel la loi certaine
Qu'il faut souffrir, et non forcer;
Le bon soldat ne doit passer
Le vouloir de son capitaine.
L'un perd dès le berceau
L'usage du cerveau
Avorton inutile,
L'autre de vent repeu
Devient le boutefeu
D'une guerre civile.
L'un de la mer court les orages
Enfermant sa vie en du bois,
L'autre pressant le cerf d'abois
Devient satyre des bocages;
L'un sans peur de meschef
Bat d'un superbe chef
Le cercle de la Lune,
Qui tombe outrecuidé
Pour n'avoir bien guidé
Les brides de Fortune.
L'un valet de sa panse pleine,
Pourceau d'Epicure ocieux,
Mange en un jour de ses aïeux
Les biens acquis à grande peine.
Ce guerrier, qui tantôt
Terre et mer d'un grand ost
Couvrait de tant de voiles,
Court de tête et de nom
Pendille à Montfaucon:
Ainsi vous plaît, Etoiles...
Je vous salue, heureuses flammes,
Etoiles, filles de la Nuit,
Et ce Destin qui nous conduit
Que vous pendîtes à nos trames.
Tandis que tous les jours
Vous dévidez vos cours
D'une danse éthérée,
Endurant je vivrai
Et la chance suivrai
Que vous m'avez livrée...


Pierre de Ronsard

 

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