Étienne Jodelle (1532-1573)
Recueil: Poésies

Épitaphe du Membre viril de Frère Pierre


 

Ci est gisant sous cette pierre
L’un des membres de Frère Pierre,
Non un des bras, n’ une des mains,
Ni pied, ni jambe, hélas ! humains,
Mais bien le membre le plus cher
Que sur lui on eût pu toucher.
C’est son Billard, c’est son Bourdon,
Son Chalumeau, son gros Bedon,
Sa Pièce de chair, son Bidault,
Son Pousse-bourre, son Ribault,
Son gentil Bâton Pastoral,
Sa rouge branche de Coral,
Son Guille-la, son Calemard,
Son Factoton, son Braquemard,
Son Furon furetant sans cesse,
Son petit Bâton de jeunesse,
Son Courtault, son Sceptre royal,
Son Vilbrequin, son Nerf loyal,
Son Pistolet aimé des dames,
Son Désiré entre les femmes,
Son Rameau dont il s’émouchait,
Son Instrument dont il pissait,
Sa Gaine, son Bâton de lit,
Sa Joye du monde, son Vit,
Son exécuteur tant propice
De l’infâme et basse Justice.
Ce bon maître, dès son enfance,
Fut de si grande obéissance
Que jamais chose on ne lui dit
Que soudainement il ne fit ;
Car dès que sa Mère Nourrice
Le frottait, disant :  « Pisse ! Pisse ! »
Soudain pissait, puis (grâce à Dieu !)
Frère Pierre crût peu à peu,
Et jà montait, dès son jeune âge,
Sur les filles de son village,
Et les culait et les foulait
Si bien, qu’on vit bien qu’il fallait
Hors du monde le reculer,
Pour ce qu’il eût pu trop culer,
Dont, par ses parents et amis,
Il fut en Religion mis,
Mais étant Novice au Couvent,
Il en faisait plus que devant ;
Dès lors il prenait bien l’audace
De monter sur la Putain grasse,
Et si fort bien la culotait,
Que la garce s’en contentait,
Car il était jà de la taille
Pour à tous heurts livrer bataille ;
Puis, quand il fut Moine parfait,
C’était un plaisir de son fait,
Car il faisait plus en un mois
Que cinq autres Moines en trois.
Croyez qu’il n’était point de ceux,
Qui sont oisifs et paresseux,
Car il n’eût jamais, en un jour,
Plus de deux heures de séjour ;
Aussi n’était-il de la sorte
De ces autres vits que l’on porte ;
Aussi roide était que son bras,
Bien spermatisant, gros et gras,
De longueur de pied et demi ;
Jamais il n’était endormi,
Et fumait, par son rouge bout,
Comme un pot qui près du feu bout.
Femme n’y avait si maligne
Qu’il ne rendît douce et bénigne ;
Femme n’y avait si gaillarde
Qu’il ne rendît saine et raillarde ;
Il n’y avait Religieuse
Qui ne se sentît bien heureuse
D’avoir du Moine connaissance,
Pour avec lui prendre alliance,
Sachant le bien et le bonheur
Que donnait ce membre d’honneur ;
Sentant le passe-temps joyeux
Que donnait ce Religieux,
Con n’y avait grand ni petit
Qui ne prît lors grand appétit,
Et n’eût su être tant profond
Qu’il n’allât toujours jusqu’au fond,
Pour chercher en l’obscure sale
La vrai Pierre Philosophale.
C’était un vrai vit de ménage ;
C’était un vit à l’avantage ;
C’était un vit bien digne d’être
À un si vénérable Maître.
Somme, c’était le plus beau vit
Que jamais femme au monde vit.
Or, entendez quel et comment
Fut le piteux département
De frère Pierre et de son membre :
Le XXe jour de décembre,
L’an 1552,
Ce bon Père Religieux,
S’en allant par les champs prêcher,
Se voulut ébattre à pécher
En un ord et sale marais,
Et, faute de Ligne ou de Rets,
Y mit son membre, où s’attacha
Un vilain chancre qu’il pêcha,
Qui ce membre rongea si fort
Que tôt après le rendit mort,
Et fut coupé pour mettre en terre.
« Mais hélas ! disait frère Pierre,
Faut-il que pour ma seule coulpe
Et pour bien servir l’on te coupe ?
Faut-il qu’avant moi mort je voie
Celui dont tout mon bien j’avoie ?
Faut-il qu’il meurre ainsi martyr ?
Faut-il aussi nous départir,
Ô Mort cruelle et sans merci ?
Eh ! que ne m’as-tu pris aussi ? »
Voilà la complainte au plus près
De frère Pierre. Or sus ! après,
Nobles dames et damoiselles,
Pucelles, Jeunes, Laides, Belles,
Pleurez-vous point donc au tombeau
Où repose ce membre beau ?
Pleurez-vous point de voir ci mis
Le plus grand de tous vos amis ?
Je crois qu’oui, mais telle perte
Ne sera jamais recouverte
Par cris, ni pleurs, dont suis d’avis
Que priez Dieu que tous les vits,
Qu’en ce monde pourrez tenir,
Puissent semblables devenir,
Ou bien qu’il advienne, sans plus,
Qu’à celui-ci ne pensez plus.

 

 


Étienne Jodelle

 

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