Pierre de Ronsard (1524-1585)
Recueil : La Philosophie

L'excellence de l'esprit de l'homme



Nous ne sommes pas nés de la dure semence
Des cailloux animés; d'une plus noble essence
Notre esprit est formé, lequel a retenu
La nature du lieu duquel il est venu...
Comme une bonne mère, après que son fils dort
Couché seul au berceau, hors de la chambre sort,
Et dedans un jardin s'ébat et se promène,
Jusqu'à tant que le soin de son fils la ramène,
Duquel elle est soigneuse, et le trouvant seulet
Découvre sa mamelle et lui donne du lait;
Ainsi notre âme sort, quand notre corps repose,
Comme d'une prison où elle était enclose,
Et en se promenant et jouant par les cieux,
Son pays naturel, banquette avec les Dieux;
Puis, ayant bien mangé de la sainte ambroisie,
Redévale en son corps pour le remettre en vie,
Qui pâmé sommeillait et qui soudain mourrait
Si l'âme à retourner trop longtemps demeurait.
Sitôt qu'elle est rentrée, elle lui communique
Ce qu'elle apprend de Dieu, lui montre la pratique
Du mouvement du ciel, lui marque les grandeurs
Des astres éthérés, leur force et leurs splendeurs,
Des grands et des petits; car, comme en une ville
Où chacun garde bien la police civile,
On voit les sénateurs au premier rang marchants
Tenir leur gravité, au second les marchands,
Au tiers les artisans, au quart la populace,
Ainsi dedans le ciel les astres ont leur place
Et leur propre degré, grands, petits et moyens,
De la maison du ciel éternels citoyens.
Elle lui dit après s'il y a d'autres mondes
Si Nature reçoit les formes vagabondes,
Si le Soleil, si Mars, et si la Lune aussi
D'hommes sont habités, comme est la terre ici,
De villes, de forêts, de prés et de rivières,
Si leurs corps sont formés de plus simples matières
Que les nôtres mortels, qui sont faits grossement
Comme habitants ce sombre et grossier élément;
Lui dit comme se fait la foudre dans les nues,
Les grêles, les frimas et les pluies menues,
Vents, neiges, tourbillons, et lui fait mesurer
Le ciel, la mer, la terre, afin de l'assurer
Par mystères si hauts que notre âme est divine,
Ayant prise de Dieu sa première origine...


Pierre de Ronsard

 

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