Étienne de la Boétie (1530-1563)
Recueil : Vingt neuf sonnetz

J'ay tant vescu, chetif, en ma langueur ...


 

J'ay tant vescu, chetif, en ma langueur,
Qu'or j'ay veu rompre, et suis encor en vie.
Mon esperance avant mes yeulx ravie,
Contre l'escueil de sa fiere rigueur.

Que m'a servy de tant d'ans la longueur ?
Elle n'est pas de ma peine assouvie:
Elle s'en rit, et n'a point d'aultre envie
Que de tenir mon mal en sa vigueur.

Doncques j'auray, mal'heureux en aymant,
Tousjours un coeur, tousjours nouveau torment,
Je me sens bien que j'en suis hors d'alaine,

Prest à laisser la vie soubs le faix:
Qu'y feroit on, sinon ce que je fais ?
Piqué du mal, je m'obstine en ma peine.


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J’ai tant vécu, chétif, en ma langueur,
Qu’or’ j’ai vu rompre, et suis encor en vie.
Mon espérance avant mes yeux ravie,
Contre l’écueil de sa fière rigueur.
 
Que m’a servi de tant d’ans la longueur ?
Elle n’est pas de ma peine assouvie :
Elle s’en rit, et n’a point d’autre envie
Que de tenir mon mal en sa vigueur.
 
Doncques j’aurai, malheureux en aimant,
Toujours un cœur, toujours nouveau tourment,
Je me sens bien que j’en suis hors d’haleine,
 
Prêt à laisser la vië sous le faix :
Qu’y ferait-on, sinon ce que je fais ?
Piqué du mal, je m’obstine en ma peine.

 

 


Étienne de la Boétie

 

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