Évariste de Parny (1753-1814)
Recueil : Poésies érotiques (1778)

La Frayeur



Te souvient-il, ma charmante maîtresse,
De cette nuit où mon heureuse adresse
Trompa l’Argus qui garde tes appas ?
Furtivement j’arrivai dans tes bras :
Tu résistais ; mais ta bouche vermeille
À mes baisers se dérobait en vain ;
Chaque refus amenait un larcin.
Un bruit subit effraya ton oreille,
Et d’un flambeau tu vis l’éclat lointain.
Des voluptés tu passas à la crainte ;
L’étonnement vint resserrer soudain
Ton faible cœur palpitant sous ma main ;
Tu murmurais ; je riais de ta plainte ;
Je savais trop que le dieu des amants
Sur nos plaisirs veillait dans ces moments.
Il vit tes pleurs ; Morphée, à sa prière,
Du vieil Argus que réveillaient nos jeux
Ferma bientôt et l’oreille et les yeux,
Et de son aile enveloppa ta mère.
L’Aurore vint, plus tôt qu’à l’ordinaire,
De nos baisers interrompre le cours ;
Elle chassa les timides Amours :
Mais ton souris, peut-être involontaire,
Leur accorda le rendez-vous du soir.
Ah ! si les dieux me laissaient le pouvoir
De dispenser la nuit et la lumière,
Du jour naissant la jeune avant-courrière
Viendrait bien tard annoncer le Soleil ;
Et celui-ci dans sa course légère
Ne ferait voir au haut de l’hémisphère
Qu’une heure ou deux son visage vermeil.
L’ombre des nuits durerait davantage,
Et les amours auraient plus de loisir.
De mes instants l’agréable partage
Serait toujours au profit du plaisir.
Dans un accord réglé par la sagesse,
À mes amis j’en donnerais un quart ;
Le doux sommeil aurait semblable part,
Et la moitié serait pour ma maîtresse.


 


Evariste de Parny

 

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