Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Recueil : Harmonies poétiques et religieuses (1830) - Livre premier

La Lampe du temple, ou l’Âme présente à Dieu



Pâle lampe du sanctuaire,

Pourquoi dans l'ombre du saint lieu
Inaperçue et solitaire
Te consumes-tu devant Dieu ?

Ce n’est pas pour diriger l’aile
De la prière ou de l’amour,
Pour éclairer, faible étincelle,
L’oeil de Celui qui fit le jour.

Ce n'est point pour écarter l'ombre
Des pas de ses adorateurs;
La vaste nef n'est que plus sombre
Devant tes lointaines lueurs.

Ce n'est pas pour lui faire hommage
Des feux qui sous ses pas ont lui;
Les cieux lui rendent témoignage,
Les soleils brûlent devant lui;

Et pourtant lampes symboliques,
Vous gardez vos feux immortels
Et la brise des basiliques
Vous berce sur tous les autels.

Et mon oeil aime à se suspendre
À ce foyer aérien,
Et je leur dis sans les comprendre:
Flambeaux pieux, vous faites bien.

Peut-être brillantes parcelles
De l’immense création,
Devant son trône imitent-elles
L’éternelle adoration ?

Et c'est ainsi, dis-je à mon âme,
Que de l'ombre de ce bas lieu
Tu brûles invisible flamme
En la présence de ton Dieu.

Et jamais, jamais tu n’oublies
De diriger vers lui mon coeur,
Pas plus que ces lampes remplies
De flotter devant le Seigneur.

Quel que soit le vent, tu regardes
Ce pôle, objet de tous tes voeux,
Et comme un nuage tu gardes
Toujours ton côté lumineux.

Dans la nuit du monde sensible
Je sens avec sérénité,
Qu’il est un point inacessible
À la terrestre obscurité;

Une lueur sur la colline
Qui veillera toute la nuit,
Une étoile qui s'ilumine,
Au seul astre qui toujours luit;

Un feu qui dans l’urne demeure
Sans s’éteindre et se consumer,
Où l’on peut jeter à toute heure
Un grain d'encens pour l’allumer.

Et quand sous l’oeil qui te contemple,
Ô mon âme, tu t’éteindras,
Sur le pavé fumant du temple
Son pied ne te foulera pas.

Mais, vivante, au foyer suprême,
Au disque du jour sans sommeil,
Il te réunira lui-même
Comme un rayon à son soleil.

Et tu luiras de sa lumière,
De la lumière de celui
Dont les astres sont la poussière
Qui monte et tombe devant lui.

 


Alphonse de Lamartine

 

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