Marie de France (1160-1210)
Recueil : Les Fables

Le Lion et la Souris


 

Un Lion jadis, dit-on, dormait
Dans le bosquet où il logeait.
Autour de lui, jouait, folette,
Une tribu de Souricettes.
L’une, toute étourdie, trotta
Sur le Lion, et le réveilla.
Le Lion en fut très irrité.
Il la prit, et, fort courroucé,
Rugit qu’il saurait la punir.
Elle s’excusa, sut lui dire
Qu’elle n’avait pas fait exprès…
Il la laissa aller en paix.
« J’aurais, dit-il, maigre gloriole
A mettre à mort cette bestiole. »
Or, à bien peu de temps de là,
Un Homme, dit-on, prépara
Une vaste fosse et, de nuit,
Le Lion y tomba : il fut pris
Et, craignant fort d’être tué
Dans la fosse, se mit à crier.
La Souris s’en vint à ces cris,
Mais sans savoir que c’était lui
Qu’elle avait jadis réveillé.
Quand elle le vit prisonnier,
« Que cherchiez-vous, dit-elle, ici ? »
Il répond qu’il a été pris
Et sera tué à grand-douleur.
La Souris dit : « N’ayez pas peur,
Je vais, moi, vous récompenser
De m’avoir jadis pardonné
D’avoir osé trotter sur vous.
Grattez la terre au fond du trou
Pour prendre un appui bien ancré,
Puis élancez-vous et sautez
De façon à pouvoir sortir.
Quant à moi, je ferai venir
D’autres Souris pour m’assister :
Que ces cordes soient bien rongées
Et ces filets qui sont tendus,
Cher Lion, ne vous retiendront plus.»
Le Lion écouta la Souris :
Ainsi put-il sauver sa vie.
S’il dut de pouvoir s’échapper
Ce fut à son humilité.

Par cet exemple on peut le voir:
Aux riches, qui ont tout pouvoir
Sur les pauvres, d’avoir conscience,
S’ils leur nuisent par ignorance,
Qu’ils doivent avoir pitié d’eux
Car, dans l’avenir, il se peut
Que le pauvre ait à les aider
Et sache mieux les assister,
Quand le sort les aura surpris,
Que le meilleur de leurs amis !

 


Marie de France

 

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