Marie de France (1160-1210)
Recueil : Les Fables

Le Lion malade


 

Un Lion (le conte en fut écrit),
Brisé par l’âge et affaibli,
Toujours malade et alité,
N’espérait plus se relever.
Les bêtes, s’assemblant un jour,
Allèrent le voir à la cour.
Beaucoup avaient pitié de lui,
D’autres n’en avaient nul souci;
Tel n’y allait que pour le don
Dû pour la succession du Lion
Et beaucoup venaient s’enquérir
S’il pourrait encore guérir.
Le Bouc, lui, d’un coup, l’encorna
Et l’Âne, ne le craignant pas,
Lui rua droit dans la poitrine.
Le Renard vint, mine chafouine,
Et il lui mordit les oreilles.
Le Lion dit : « O sort sans pareil !
Je me souviens que, de mon temps,
Quand j’étais jeune et bien portant,
Tous ici avaient peur de moi
Et m’honoraient comme leur Roi.
Etais-je en joie, ils étaient gais;
Etais-je en colère, ils tremblaient.
Pour lors, me voyant affaibli,
Ils me font tort et m’humilient,
Et c’est pire infamie, je crois,
Venant de ces amis à moi
Qui me durent honneurs et biens
Et ne s’en souviennent en rien
Que venant de mes ennemis :
Le Lion sans force a peu d’amis.»

Pour illustrer ces conclusions
Prenons donc l’exemple du Lion:
Qui vient à perdre sa puissance,
Sa force et son intelligence
Se voit souvent fort mal traité
Par ceux même qui l’ont aimé.

 


Marie de France

 

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