Amour qui voles dans les nues,
Baisers blancs, fuyant sur l’azur,
Et qui palpites dans les mues,
Au nid sourd des forêts émues ;
Qui cours aux fentes des vieux murs,
Dans la mer qui de joie
écume,
Au flanc des navires, et sur
Les grandes voiles de lin pur ;
Amour sommeillant sur la plume
Des aigles et des traversins,
Que clame la sibylle à Cume,
Amour qui chantes sur l’enclume
;
Amour qui rêves sur les seins
De Lucrèce et de Messaline,
Noir dans les yeux des assassins,
Rouge aux lèvres des spadassins ;
Amour riant à la babine
Des dogues noirs
et des taureaux,
Au bout de la patte féline
Et de la rime féminine ;
Amour qu’on noie au fond des brocs
Ou qu’on reporte sur la lune,
Cher aux galons des caporaux,
Doux aux guenilles
des marauds ;
Aveugle qui suis la fortune,
Menteur naïf dont les leçons
Enflamment, dans l’ombre opportune,
L’oreille rose de la brune ;
Amour bu par les nourrissons
Aux
boutons sombres des Normandes ;
Amour des ducs et des maçons,
Vieil amour des jeunes chansons ;
Amour qui pleures sur les brandes
Avec l’angélus du matin,
Sur les steppes et sur les landes
Et sur les polders des Hollandes ;
Amour qui voles du hautain
Et froid sourire des poètes
Aux yeux des filles dont le teint
Semble de fleur et de satin ;
Qui vas, sous le ciel des prophètes,
Du chêne biblique au palmier,
De la reine aux anachorètes,
Du cœur de l’homme au cœur des bêtes ;
De la tourterelle au ramier,
Du valet à la demoiselle,
Des doigts
du chimiste à l’herbier,
De la prière au bénitier ;
Du prêtre à l’hérétique belle,
D’Abel à Caïn réprouvé ;
Amour, tu mêles
sous ton aile
Toute la vie universelle !
Mais, ô vous qui m’avez trouvé,
Moi, pauvre pécheur que Dieu pousse
Diseur de Pater et d’Ave,
Sans oreiller que le pavé,
Votre présence me soit douce.