Pindare (-518 à -438)

Traduction de Faustin Colin (1841)

NÉMÉENNE IX



A CHROMIUS, ETNEEN, VAINQUEUR A LA COURSE DES CHARS

Strophe 1. — Quittons Apollon (162) et Sicyone (163), ô Muses, pour les nouveaux murs d'Etna (164), où les portes cèdent à l'af-fluence des étrangers; allons en pompe jusqu'à l'heureux palais de Chromius. Donc, exécutez l'hymne aux doux vers. Car voici (165) que, monté sur son char aux coursiers victorieux, il (166) donne le signal de chanter, et la mère (167) et les jumeaux qui de concert veillent sur la haute (168) Pitho.

Str. 2. — C'est un adage parmi les hommes, qu'il ne faut pas ensevelir une belle action dans la poudre du silence. Or, à l'éloge sied la voix divine des vers. Courage doncl animons la lyre sOnore, animons la flûte à célébrer les sublimes luttes équestres, instituées par Adraste,en l'honneur de Thèbes, près des courants de l'Asopus (169).

Str. 3. — Et moi, en rappelant ces jeux, j'ornerai d'un insigne honneur le héros qui régnait alors sur ces rives, et qui, par des fêtes nouvelles, par les luttes des vigoureux athlètes et des chars brillants, rehaussa la gloire de la cité. Car il (170) fuyait Amphiaraus au cœur audacieux et l'affreuse discorde, loin du palais de ses pères et d'Argos. Ils n'étaient plus chefs, les fils de Talaùs (171), opprimés par (a sédition : mais un mortel (172) plus fort apaisa l'antique querelle.

Str. 4. — Lorsque pour gage inviolable ils eurent donné comme femme au fils d'Œclée (173), Ériphyle, fléau d'un époux, ils furent les plus puissants des Danaens (174) aux blonds cheveux. Et le jour vint, où contre Thèbes aux sept portes, ils conduisirent une armée de guerriers, sans que le vol propice des oiseaux guidât leur route. Et le fils de Cronos, par les roulements de son tonnerre, ne les poussa point à s'élancer en furieux de leurs foyers, mais il voulait arrêter leurs pas.

Str. 6. — Elle courut (175) donc, cette armée, à un désastre évident avec ses armes d'airain et l'appareil de ses chars. Sur les bords de l'Ismène (176), privés d'un doux retour, ils engraissèrent de leurs corps la blanchâtre fumée. Car sept bûchers dévorèrent les cadavres des jeunes héros. Mais Amphiaraus, Jupiter, de son invincible foudre, lui ouvrit le sein profond de la terré et l'engloutit avec ses coursiers,
Str. 6. — Avant que, frappé au dos par la. lance de Périclymène, il eut à rougir dans son cœur guerrier; pressés de terreurs divines fuient même les fils des dieux. S'il se peut, ô fils de Cronos, repousse loin, bien loin, le terrible choc de lances phéniciennes (177) qui décident de la mort et de la vie; accorde longtemps, je t'en supplie, aux fils d'Etna la jouissance de bonnes lois,

Str. 7. — Puissant Jupiter, et donne à ce peuple les gloires civiles. Là vivent des mortels, amis des coursiers, des âmes supérieures aux richesses. Parole étrange, car le gain dérobe en secret l'honneur qui apporte la gloire. Que si vous eussiez porté le bouclier de Chromius au milieu des bataillons, des escadrons, des combats sur mer, vous auriez compris pendant l'impétueuse mêlée,

Str. 8. — Que, dans la guerre, le dieu de l'honneur excitait son âme belliqueuse à repousser le fléau d'Ényalius (178). Mais peu d'hommes peuvent savoir comment le bras et le cœur refoulent dans les rangs ennemis un nuage de sang qui s'avance. On dit que la fleur de gloire brilla pour Hector sur les bords du Scamandre. C'est aux rives escarpées de l'Hélorus (179),

Str. 9. — Dans l'endroit appelé par les hommes le gué d'Aréa (180), que radieuse elle.a paru au jeune fils d'Agési-dame. En d'autres journées encore, je le dirai, il (181) s'est illustré, et sur la terre poudreuse et sur la mer voisine. Mais les travaux de la jeunesse, entrepris dans la justice, assurent au vieillard une vie paisible. Qu'il le sache, il a reçu des dieux un merveilleux bonheur.

Str. 10. — Car s'il joint à de grandes richesses une gloire insigne, il est parvenu au plus haut faite que les pieds d'un mortel puissent atteindre. Les festins aiment la paix ; l'hymne suave donne à la victoire un relief qui en rajeunit l'éclat. Près du cratère la voix s'enhardit. Faites le mélange, doux prélude du chant.

Str. 11. — Distribuez dans les coupes d'argent le fils impétueux de la vigne; ces coupes que les cavales victorieuses de Chromius rapportèrent de Sicyone la sainte, avec les guirlandes du fils de Latone, tressées par la justice. Puissant Jupiter, je t'en prie, fais que je module cet hymne avec l'aide des Grâces, et que supérieur à la foule, j'embellisse cette victoire par mes vers en lançant mon trait (182) près du but (183) des Muses.

 

(162) Apollon présidait à Sicyone, aux jeux qui avaient lieu en son honneur.

(163) Cette ode, classée à tort parmi les Néméennes, célèbre une victoire remportée aux jeux pjthiques de Sicyone.

(164) En Sicile..

(165) La fête commence.

(166) Chromius.

(167) Latone

(168) Latone et Diane.

(169) Delphes.

(170) Rivière de Sicyonie.

(171) illisible

(172) Père d'Adraste

(173) illisible

(174) Fils de Danaüs.

(175) Vers 1226 avant J. C.

(176) Rivière de Thèbes.

(177) Souvent les Carthaginois ont porté la guerre en Sicile; il étaient originaires de Phénicie.

(178) Mars.

(179) Rivière de Sicile prés du Pachyn : Chromius accompagnait Gélon, frère d'Hiéron, dans une guerre contre Hippocrate, tyran de Géla: les Syracusains furent vaincus..

(180) Comme on dirait le gué de Mars.

(181) Chromius

(182) Image empruntée aux jeux publics et surtout à l'exercice du javelot.

(183) Le but qu'il veut atteindre dans ce chant.

 


Pindare - Néméennes

 

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