De mes pensers confidente chérie,
Toi, dont les chants faciles et flatteurs
Viennent parfois suspendre les douleurs
Dont les Amours ont parsemé ma vie,
Lyre fidèle, où mes doigts paresseux
Trouvent
sans art des sons mélodieux,
Prends aujourd'hui ta voix la plus touchante,
Et parle-moi de ma maîtresse absente.
Objet chéri, pourvu que dans tes bras
De mes accords j'amuse ton oreille,
Et qu'animé par le jus de la treille,
En les chantant, je baise tes appas ;
Si tes regards, dans un tendre délire,
Sur ton ami
tombent languissamment ;
À mes accents si tu daignes sourire ;
Si tu fais plus, et si mon humble lyre
Sur tes genoux repose mollement ;
Qu'importe à moi le reste de la terre ?
Des beaux esprits qu'importe la
rumeur,
Et du public la sentence sévère ?
Je suis amant, et ne suis point auteur.
Je ne veux point d'une gloire pénible ;
Trop de clarté fait peur au doux plaisir.
Je ne suis rien, et ma muse
paisible
Brave en riant son siècle et l'avenir.
Je n'irai pas sacrifier ma vie
Au fol espoir de vivre après ma mort.
Ô ma maîtresse ! un jour l'arrêt du sort
Viendra fermer ma paupière
affaiblie.
Lorsque tes bras, entourant ton ami,
Soulageront sa tête languissante,
Et que ses yeux soulevés à demi
Seront remplis d'une flamme mourante ;
Lorsque mes doigts tâcheront d'essuyer
Tes yeux fixés sur ma paisible couche,
Et que mon cœur, s'échappant sur ma bouche
De tes baisers recevra le dernier ;
Je ne veux point qu'une pompe indiscrète
Vienne trahir ma douce obscurité,
Ni qu'un airain à grand bruit agité
Annonce à tous le convoi qui s'apprête.
Dans mon asile, heureux et méconnu,
Indifférent au reste de la terre,
De mes plaisirs je lui fais un mystère
:
Je veux mourir comme j'aurai vécu.