Sonnet V-11 : À Stefano Colonna, pour qu’il poursuive le cours de sa victoire contre les Orsini.
Sonnet V-12 : Sur le mérite de Malatesta, qu’il veut rendre immortel en écrivant sa louange.
Sonnet V-13 : À Antonio de Beccari de Ferrare, pour le rassurer et le convaincre qu’il est encore vivant.
Sonnet V-14 : Il s’élève contre les scandales qui se passaient à cette époque à la cour d’Avignon.
Sonnet V-15 : Il prédit à Rome la venue d’un grand personnage qui la fera revenir à l’antique vertu.
Sonnet V-16 : Il attribue la perversité de la cour de Rome aux donations que lui a faites Constantin.
Sonnet V-17 : Loin de ses amis, il vole près d’eux par la pensée, et y reste de cœur.
Sonnet V-18 : Il déclare que s’il avait persévéré dans l’étude de la poésie, il aurait maintenant la réputation d’un grand poète.
Sonnet V-19 : Des graves dommages causés par la colère, d’après les exemples d’hommes illustres.
Sonnet V-20 : Il remercie Giacomo Colonna de ses sentiments affectueux.
Sonnet V-11
À Stefano Colonna, pour qu’il poursuive le cours de sa victoire contre les Orsini.
Vinse Annibal, e non seppe usar poi
Ben la vittorïosa sua ventura;
Però, Signor mio caro, aggiate cura
Che similmente non avvegna a voi.
L’orsa, rabbiosa per gli orsacchi suoi
Che trovaron di maggio aspra pastura,
Rode sè dentro, e i denti e l’unghie indura
Per vendicar suoi danni sopra noi.
Mentre ’l novo dolor dunque l’accora,
Non riponete l’onorata spada,
Anzi seguite là dove vi chiama
Vostra fortuna dritto per la strada
Che vi può dar, dopo la morte ancora
Mille e mill’anni, al mondo onore e fama.
Annibal vainquit et ne sut pas ensuite bien employer sa fortune victorieuse. Donc, mon cher Seigneur, prenez garde qu’il ne vous en arrive autant à vous.
L’ourse, mise en rage à cause de ses oursons qui trouvèrent en mai une dure nourriture, se ronge en elle-même, et aiguise ses dents et ses ongles pour venger sur nous ses désastres.
Pendant que sa douleur encore nouvelle lui trouble le cœur, ne déposez pas votre glorieuse épée ; au contraire, allez là où vous appelle
Votre fortune, droit par le chemin qui peut vous donner, mille et mille ans encore après la mort, honneur et renommée en ce monde.
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Sonnet V-12
Sur le mérite de Malatesta, qu’il veut rendre immortel en écrivant sa louange.
L’aspettata virtù, che ’n voi fioriva
Quando Amor cominciò darvi battaglia,
Produce or frutto che quel fiore agguaglia,
E che mia speme fa venire a riva.
Però mi dice ’l cor ch’io in carte scriva
Cosa onde ’l vostro nome in pregio saglia;
Che ’n nulla parte sì saldo s’intaglia,
Per far di marmo una persona viva.
Credete voi che Cesare o Marcello
O Paulo od African fossin cotali
Per incude già mai nè per martello ?
Pandolfo mio, quest’opere son frali
Al lungo andar, ma ’l nostro studio è quello
Che fa per fama gli uomini immortali.
Le mérite attendu qui fleurissait en vous quand Amour commença de vous livrer bataille, produit maintenant un fruit égal à cette fleur, et qui a réalisé mon espérance.
Aussi mon cœur me dit d’inscrire dans mes ouvrages quelque chose dont votre nom acquière du prix car nulle part ailleurs on ne grave aussi solidement pour faire de marbre une personne vivante
Croyez-vous que César ou Marcellus, ou bien Paul, ou l’Africain fussent jamais devenus tels qu’ils sont, par l’enclume ou par le marteau ?
Mon Pandolphe, ces œuvres-là deviennent fragiles avec le temps, mais c’est notre œuvre à nous qui fait, par la renommée, les hommes immortels.
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Sonnet V-13
À Antonio de Beccari de Ferrare, pour le rassurer et le convaincre qu’il est encore vivant.
Quelle pietose rime, in ch’io m’accorsi
Di vostro ingegno e del cortese affetto,
Èbben tanto vigor nel mio cospetto,
Che ratto a questa penna la man porsi,
Per far voi certo che gli estremi morsi
Di quella ch’io con tutto ’l mondo aspetto,
Mai non sentii; ma pur senza sospetto
Infin a l’uscio del suo albergo corsi;
Poi tornai ’ndietro, perch’io vidi scritto
Di sopra ’l limitar, che ’l tempo ancora
Non era giunto, al mio viver prescritto;
Ben ch’io non vi leggessi il dì nè l’ora.
Dunque s’acqueti omai ’l cor vostro afflitto;
E cerchi uom degno quando sì l’onora.
Ces rimes affectueuses, où j’ai reconnu votre esprit et votre tendre affection, ont eu tant de pouvoir sur moi, qu’aussitôt j’ai mis la main à ma plume,
Pour vous assurer que je n’ai jamais ressenti les dernières morsures de celle que j’attends comme tout le monde ; cependant, sans m’en douter, je suis allé jusqu’à la porte de sa demeure ;
Puis je suis revenu sur mes pas, ayant vu écrit sur le seuil que le temps qu’il m’était donné de vivre n’était pas encore accompli,
Bien que je n’aie pu lire ni le jour ni l’heure où il le sera. Donc, que votre cœur inquiet s’apaise et cherche, pour l’honorer ainsi, un homme qui en soit digne.
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Sonnet V-14
Il s’élève contre les scandales qui se passaient à cette époque à la cour d’Avignon.
Fiamma dal ciel su le tue trecce piova,
Malvagia, che dal fiume e da le ghiande,
Per l’altru’ impoverir se’ ricca e grande;
Poi che di mal oprar tanto ti giova
Nido di tradimenti, in cui si cova
Quanto mal per lo mondo oggi si spande;
Di vin serva, di letti e di vivande,
In cui lussuria fa l’ultima prova.
Per le camere tue fanciulle e vecchi
Vanno trescando, e Belzebub in mezzo,
Co’ mantici e col foco e con gli specchi.
Già non fostu nudrita in piume al rezzo.
Ma nuda al vento, e scalza fra li stecchi;
Or vivi sì, ch’a Dio ne venga il lezzo.
Que la flamme du ciel pleuve sur ta tête, mauvaise, qui après avoir commencé par boire l’eau des fontaines et par te nourrir de glands, es devenue riche et grande en faisant les autres pauvres, puisque tu prends tant
de plaisir à mal faire ;
Nid de trahisons, où se couve tout le mal qui se répand aujourdhui par le monde ; esclave du vin, des lits voluptueux, des victuailles, chez qui la luxure est passée à ses extrêmes limites.
Par tes palais, tes jeunes filles et tes vieillards dansent en rond, ayant Belzébuth au milieu d’eux, avec les soufflets de feu et les miroirs.
Jadis tu ne fus pas élevée à l’ombre sur la plume, mais nue au vent et déchaussée parmi les ronces. Maintenant tu vis de telle façon que jusqu’à Dieu en monte la puanteur.
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Sonnet V-15
Il prédit à Rome la venue d’un grand personnage qui la fera revenir à l’antique vertu.
L’avara Babilonia à colmo il sacco
D’ira di Dio, e di vizi empi e rei,
Tanto che scoppia; ed à fatti suoi Dei,
Non Giove e Palla, ma Venere e Bacco.
Aspettando ragion mi struggo e fiacco:
Ma pur novo soldan veggio per lei,
Lo qual farà, non già, quand’io vorrei,
Sol una sede; e quella fia in Baldacco.
Gl’idoli suoi saranno in terra sparsi,
E le torri superbe, al Ciel nemiche;
E suoi torrier di for, come dentro arsi.
Anime belle e di virtute amiche
Terranno ’l mondo; e poi vedrem lui farsi
Aureo tutto e pien de l’opre antiche.
L’avare Babylonie a comblé le sac de la colère de Dieu, et des vices impies et coupables, tellement qu’il déborde ; elle a pris pour Dieux, non pas Jupiter et Pallas, mais Vénus et Bacchus.
Je me consume et je me lasse d’attendre sa punition ; mais pourtant je vois venir pour elle un nouveau sultan qui en fera, mais non pas aussi vite que je voudrais, un seul siège, et celui-ci sera à Baldacco.
Ses idoles seront renversées à terre, ainsi que les tours orgueilleuses, ennemies du ciel, et les gardiens de ces tours seront brûlés au dehors comme ils le sont au dedans.
Les âmes belles et amies de la vertu gouverneront le monde ; et nous le verrons revenir à l’âge d’or et se remplir des œuvres antiques.
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Sonnet V-16
Il attribue la perversité de la cour de Rome aux donations que lui a faites Constantin.
Fontana di dolore, albergo d’ira,
Scola d’errori, e tempio d’eresia;
Già Roma, or Babilonia falsa e ria,
Per cui tanto si piagne e si sospira:
O fucina d’inganni, o prigion dira,
Ove ’l ben more, e ’l mal si nutre e cria;
Di vivi inferno; in gran miracol fia
Se Cristo teco al fine non s’adira.
Fondata in casta ed umil povertate,
Contra tuoi fondatori alzi le corna,
Putta sfacciata; e dov’ài posto spene ?
Negli adulteri tuoi, ne le mal nate
Ricchezze tante? or Constantin non torna;
Ma tolga il mondo tristo che ’l sostène.
Source de douleur, repaire de colère, école d’erreurs, temple d’hérésie ; jadis tu étais Rome, aujourd’hui tu es une Babylonie fausse et perverse, à cause de laquelle on se plaint
et l’on soupire tant.
Ô forge de tromperies, ô prison cruelle, où le bien meurt, où le mal naît et s’accroît ; enfer de damnés vivants, ce sera un grand miracle, si à la fin Christ ne se courrouce point contre
toi.
Fondée dans une humble et chaste pauvreté, tu élèves ton front contre tes fondateurs, putain effrontée. Et où as-tu placé ton espoir ?
Dans tes adultères, dans tant de richesses mal acquises ? Aujourd’hui Constantin ne peut plus revenir ; mais que le triste monde qui supporte de telles choses, les garde pour lui.
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Sonnet V-17
Loin de ses amis, il vole près d’eux par la pensée, et y reste de cœur.
Quanto più disïose l’ali spando
Verso di voi, o dolce schiera amica,
Tanto Fortuna con più visco intrica
Il mio volare, e gir mi face errando.
Il cor, che mal suo grado attorno mando,
È con voi sempre in quella valle aprica,
Ove ’l mar nostro più la terra implica.
L’altr’ier da lui parti’ mi lagrimando;
I’ da man manca, e’ tenne il cammin dritto,
I’ tratto a forza; ed e’ d’Amore scorto;
Egli in Gerusalem, ed io in Egitto.
Ma sofferenza è nel dolor conforto;
Chè per lungo uso, già fra noi prescritto,
Il nostro esser insieme è raro e corto.
Plus j’étends vers vous mes ailes pleines de désir, ô douce troupe amie, plus la Fortune entrave mon vol par une glue épaisse, et me force à errer de côté et d’autre.
Le cœur, qu’en dépit de la Fortune je puis envoyer loin de moi, est toujours avec vous dans cette vallée ouverte où notre mer entoure davantage la terre. L’autre jour, je me séparai de lui, tout en pleurs.
Je pris à main gauche, et lui à droite ; moi traîné de force, et lui escorté par l’Amour ; lui à Jérusalem, et moi en Égypte.
Mais la patience est un confort dans la douleur ; car, par suite d’une longue habitude établie autrefois entre nous, nous avions été rarement et peu longtemps ensemble, lui et moi.
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Sonnet V-18
Il déclare que s’il avait persévéré dans l’étude de la poésie, il aurait maintenant la réputation d’un grand poète.
S’io fossi stato fermo a la spelunca
Là dove Apollo diventò profeta,
Fiorenza avria fors’oggi il suo poeta,
Non pur Verona e Mantoa ed Arunca:
Ma perchè ’l mio terren più non s’ingiunta
De l’umor di quel sasso, altro pianeta
Convèn ch’i’ segua, e del mio campo mieta
Lappole e stecchi con la falce adunca.
L’oliva è secca, ed è rivolta altrove
L’acqua che di Parnaso si deriva,
Per cui in alcun tempo ella fioriva.
Così sventura ovver colpa mi priva
D’ogni buon frutto; se l’eterno Giove
De la sua grazia sopra me non piove.
Si j’étais resté assidûment dans la caverne où Apollon devint prophète, Florence aurait peut-être aujourd’hui son poète, et non pas seulement Vérone, Mantoue et Arunca.
Mais puisque mon génie n’est plus arrosé par l’eau de ce rocher, il faut que je suive une autre planète, et qu’avec la faux recourbée j’extraie de mon champ les herbes folles et les ronces.
L’olivier est séché, et l’eau qui découle du Parnasse et qui le faisait en d’autre temps fleurir, s’est détournée ailleurs.
Ainsi ma malechance ou ma faute m’aura privé de tout bon fruit, si l’éternel Jupiter ne fait pleuvoir sa grâce sur moi.
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Sonnet V-19
Des graves dommages causés par la colère, d’après les exemples d’hommes illustres.
Vincitor Alessandro l’ira vinse,
E fel minore in parte che Filippo:
Che li val se Pirgotele o Lisippo
L’intagliâr solo, ed Apelle il dipinse ?
L’ira Tideo a tal rabbia sospinse,
Che morendo ei si rose Menalippo:
L’ira cieco del tutto, non pur lippo,
Fatto avea Silla; a l’ultimo l’estinse.
Sal Valentinïan, ch’a simil pena
Ira conduce; e sal quei che ne more,
Aiace, in molti e po’ in sè stesso forte.
Ira è breve furor; e chi nol frena,
È furor lungo, che ’l suo possessore
Spesso a vergogna, e tal or mena a morte.
La colère vainquit Alexandre victorieux, et le rendit en partie inférieur à Philippe ; que lui sert d’avoir été taillé dans le marbre ou le bronze seulement par Pirgotel ou Lisippes, et peint
par Apelles ?
La colère poussa Tydée à une telle rage, qu’elle le rongea à l’en faire mourir. La colère avait rendu Sylla, non pas seulement borgne, mais tout à fait aveugle ; elle finit par le tuer.
Valentinien le sait, lui que la colère conduisit à un semblable destin ; il le sait aussi Ajax qui en mourut, et tourna sa force contre tant de gens puis contre lui-même.
La colère est une courte folie ; quand on ne la dompte pas, c’est une folie longue qui mène souvent à la honte et parfois à la mort celui qu’elle possède.
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Sonnet V-20
Il remercie Giacomo Colonna de ses sentiments affectueux.
Mai non vedranno le mie luci asciutte,
Con le parti de l’animo tranquille,
Quelle note, ov’Amor par che sfaville,
E pietà di sua man l’abbia costrutte;
Spirto già invitto a le terrene lutte
Ch’or su dal Ciel tanta dolcezza stille,
Ch’a lo stile onde Morte dipartille,
Le disviate rime hai ricondutte.
Di mie tenere frondi altro lavoro
Credea mostrarte. E qual fero pianeta
Ne ’nvidiò insieme, o mio nobil tesoro ?
Chi ’nnanzi tempo mi t’asconde e vieta ?
Che col cor veggio, e con la lingua onoro,
E ’n te, dolce sospir, l’alma s’acqueta.
Je ne verrai jamais avec les yeux secs, ni d’un cœur tranquille, ces lignes où il semble qu’Amour étincelle et que la Pitié semble avoir écrites de sa main,
Ô Esprit jadis invaincu dans les luttes terrestres, et qui maintenant répands du haut du ciel une telle douceur, que tu as ramené mes rimes vers le haut style dont la mort les avait écartées.
J’espérais te montrer un tout autre fruit de mes tendres rameaux. Quel destin cruel nous porta envie à tous deux, ô mon noble trésor,
Pour qu’avant le temps tu m’aies été enlevé et caché ? Mais je te vois avec le cœur, je t’honore avec la langue, et mon âme s’apaise en toi, doux objet de mes soupirs.