Pindare (-518 à -438)

Traduction de Faustin Colin (1841)

PYTHIQUE III



AU MÊME HIÉRON VAINQUEUR A LA COURSE DU CHEVAL DE MAIN

Strophe 1. — Je voudrais que Chiron, fils de Philyre (s'il est permis à ma langue d'exprimer le vœu de tous), vécût encore, lui rejeton tout-puissant de l'Uranide Cronos, et qu'il régnât encore dans les vallées du Pélion, ce sauvage (55) centaure au cœur ami des hommes; tel qu'autrefois, il éleva le père généreux de la santé robuste, Esculape, héros vainqueur de toutes les maladies.

Antistrophe 1. — Avant que la fille de (56) Phlégyas aux beaux coursiers, l'eût (57) mis au monde, assistée de Lucine, protectrice des mères, elle fut percée de flèches d'or par Diane, et descendit de son palais aux enfers, victime d'Apollon. Il n'est point vain le courroux des enfante de Jupiter. Au mépris du dieu, dans l'égarement de ses esprits, elle consentit à un autre hymen, à l'insu de son père, elle qui auparavant s'était unie à Phébus aux longs cheveux,

Épode 1. — Elle qui portait la semence sacrée d'un dieu. Elle ne supportait plus, ni les tables nuptiales (58), ni les cris confus d'hymen, que ses compagnes, les jeunes vierges, aiment à mêler dans leurs doux chants du soir (59). Mais elle brûlait pour ce qu'elle n'avait point. Que d'autres ont fait de même! Il est parmi les hommes une race insensée qui dédaigne le présent, porte au loin ses regards, et, dans ses espérances stériles, ne poursuit que des chimères.

Str. 2. — Cette grande erreur fut celle de Coronis aux riches vêtements. Elle entra dans la couche d'un étranger venu d'Arcadie. Mais ce ne fut point sans être vue. Car, dans Pytho, où se pressent les victimes, le roi du temple, Loxias (60), qui a foi dans son jugement, apprit le fait de la plus sûre des confidentes, de son intelligence qui connaît tout; il ne sait point tromper, et nul ne lui en impose , ni dieu, ni homme, par action ou par pensée.

Ant 2. — Et alors instruit de ce commerce avec l'étranger Ischys, fils d'Élatus, et de cette trahison impie, il envoya sa sœur (61), transportée d'un brûlant courroux, dans Lacérie (62). Car, sur les rives de Bébiade (63), habitait la jeune fille. Le funeste génie qui l'avait portée au crime la perdit. Et beaucoup de ses voisins partagèrent son sort, et ils périrent avec elle, et l'incendie né d'une seule étincelle, courut embraser, au haut des monts, une immense forêt.

Ép. 2. — Cependant, lorsque les parents de la jeune fille l'eurent placée sur le bois amoncelé, que la flamme dévorante de Vulcain s'élança tout autour, Apollon s'écria : «Non, mon âme ne saurait souffrir que mon fils périsse de la plus pitoyable mort en partageant le sort cruel d'une mère.» Il dit, il fait un pas, et, saisissant son fils, il le retire du cadavre. Les feux du bûcher ardent s'étaient entr'ouverts. Puis il le porta au centaure (64) de Magnésie (65), pour qu'il lui apprit à guérir les nombreuses maladies qui affligent les hommes.

Str. 3. — Là tous .ceux qui vinrent à lui, soit avec des ulcères naturels, soit blessés par l'airain brillant ou par une pierre lancée de loin, ceux dont le corps avait souffert de l'excès du chaud ou du froid, il les délivrait chacun de leurs douleurs; remettant sur pied les uns par de douces paroles, les autres par des breuvages calmants, ceux-ci avec des simples appliqués autour des membres, ceux-là par des incisions.

Ant. 3. — Mais la cupidité enchaîne la sagesse même. Lui aussi, à la vue de mains pleines d'un or promis, consentit à ravir au trépas un (66) mortel déjà expiré. Mais de ses mains, le fils Cronos, les perçant tous deux, arracha vite le souffle de leur poitrine, et la foudre brûlante les frappa de mort. Demandons seulement aux dieux ce qui convient à des cœurs humains, connaissant notre portée et quelle est notre nature.

Ép. 3. — Ο mon âme, n'aspire point à la vie des immortels. Mais entreprends une œuvre possible. Oh ! si l'habile Chiron habitait encore son antre; si mes hymnes abreuvaient son cœur de quelque plaisir, ils le persuaderaient de donner aujourd'hui encore à de nobles mortels un médecin qui guérit leurs douleurs brûlantes, un fils de Latone ou de Jupiter. Alors, fendant sur un navire la mer d'Ionie, j'irais vers la fontaine Aréthuse, chez un hôte d'Etna,

Str. 4. — Roi de Syracuse, monarque doux aux citoyens, sans envie des bons, père des étrangers qui l'admirent. Oui, si j'abordais avec un double présent, avec la santé d'or, et cet hymne pythique, honneur ajouté aux couronnes remportées par Phérénice (67) dans Cirrha (68), sans doute un astre du ciel brillerait moins radieux que mol quand je paraîtrais à tes yeux après avoir franchi les mers profondes.

Ant. 4. — Du moins adresserai-je ma prière à la mère des dieux, vénérable déesse, dont le culte avec celui du dieu Pan, est souvent célébré la nuit par les vierges, non loin de ma demeure. Puisque tu as appris à comprendre les vérités les plus sublimes, ô Hiéron, tu connais cette maxime des anciens: «Pour un bien, les hommes reçoivent des immortels deux maux en partage.» Les insensés ne peuvent, les supporter avec dignité; c'est le fait des sages qui ne montrent des choses que leurs beaux cotés.

Ép. 4. — Pour toi, la prospérité t'accompagne; car un roi, chef de nation, est plus que tout autre remarqué de la puissante fortune. Mais une vie bienheureuse n'a été donnée, ni à l'Éacide Pelée, ni au divin Cadmus. Et cependant ils passent pour avoir été les plus, fortunés des martels, eux qui entendirent les Muses aux réseaux d'or, chanter sur la montagne (69) et dans Thèbes aux sept portes ; lorsque l'un d'eux épousa Harmonie aux grands yeux; l'autre, Thétis, illustre fille du sage Nérée.

Str. 6. — Tous deux ont accueilli les dieux à leur table, et ils ont vu les rois fils de Cronos, sur des trônes d'or; ils en ont reçu des présents d'Hyménée, et cette faveur de Jupiter qui succédait à des infortunes, releva leur courage. Mais, plus tard, l'un se vit enlever par les malheurs de ses trois filles (70) une partie de sa joie; cependant l'auguste Jupiter entra dans l'aimable couche de Thyone (71) au bras d'albâtre.

Ant. 6. — Le fils de l'autre, fils unique (72), enfanté dans Phthie par l'immortelle Thétis, fut tué d'une flèche à la guerre, et fit éclater les gémissements des Grecs autour de son bûcher. Lorsque l'esprit d'un mortel tient la voie de la vérité, il doit être heureux de ce que les dieux lui accordent. Mais il est inconstant le souffle des vents impétueux. Le bonheur des hommes ne va pas loin, surtout lorsqu'il les accable par son excès.

Ép. 5. — Humble dans un humble sort, je serai grand dans la grandeur. Toujours l'esprit attentif à ma destinée de chaque instant j'en userai de mon mieux. Que si Dieu me comble jamais de richesses désirées, j'espère (73) acquérir dans la postérité une gloire éclatante. Nestor et le Lycien Sarpédon, célèbres parmi, les hommes, nous sont connus, grâce aux chants harmonieux des poëtes : les beaux vers immortalisent la vertu ; mais peu de mortels obtiennent ce privilège.

 

(55) Chiron.

(56) Coronis.

(57) Esculape

(58) Elle n'allait plus à aucune fête.

(59) En l'honneur de la fiancée.

(60)  Surnom d'Apollon.

(61) Diane

(62) En Thessalie,

(63)  Marais de Thessalie.

(64) Chiron.

(65) En Thessalie.

(66) Hippolyte.

(67) Cheval d'Hiéron.

(68)  Aux jeux pythiques. Cirrha était en Phocide près du Parnasse. L'Hippodrome de Delphes était prés de Cirrha.

(69) Le Pélion; pendant le festin nuptial.

(70) Ino. Agave. Antonoë. La première se précipita dans la mer avec son fils Mélicerte; la seconde mit en pièces son fils Panthée ; la troisième mourut de douleur, après avoir perdu son fils Actéon.

(71) Sémélé.

(72) Achille.

(73) Emploi de la première personne pour la deuxième; «vous qui êtes riche, Hiéron, vous pouvez, par vos libéralités envers les poètes, obtenir d'eux des chants qui vous immortaliseront. »


 


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