Thomas d’Angleterre (1150-1200)
Recueil : Tristan et Iseut

Fragment du Manuscrit de Cambridge - Le Verger


 

... tient dans ses bras la reine. Ils se croient en sûreté. Or survient, malheur imprévu, le roi, conduit par son nain. Il veut les prendre sur le fait, mais, Dieu merci, les deux hommes arrivent trop tard et trouvent les amants endormis. Le roi, à ce spectacle, dit au nain :

"Attendez-moi ici ; je vais monter au palais chercher de mes barons : ils seront témoins du flagrant délit. Je les ferai brûler preuves à l'appui."

Tristan s'éveille, et voit le roi, mais feint le sommeil, le laissant aller à grand pas vers le palais. Il se dresse alors et dit :

"Hélas, Yseut, belle amie, réveillez-vous : nous sommes trahis. Le roi nous a surpris ; il va chercher du renfort. S'il le peut, il nous fera arrêter tous les deux et condamner au bûcher. Je vais m'en aller, ma douce amie. Ne craignez rien, car ils n'auront pas de preuve... (si l'on vous trouve seule. Je partirai tristement en exil, pour l'amour de vous)... et je ne connaîtrai plus la joie, mais la nostalgie, ni le bonheur, mais le péril.

Je suis si malheureux de vous quitter que tout plaisir m'est à jamais refusé. Ma tendre dame, je vous en prie, ne m'oubliez pas : aimez-moi autant de loin que vous m'aimez quand je suis proche. Je ne veux plus tarder : donnez−moi le baiser d'adieu."

Yseut l'embrasse longuement ; elle l'a écouté avec passion et constate qu'il pleure ; ses yeux s'embuent et elle pousse un profond soupir ; elle lui dit avec ferveur :

"Mon ami, mon seigneur, vous aurez triste souvenir de ce jour où votre départ vous coûta tant. Je suis déchirée de vous perdre et n'ai jamais autant souffert. Je ne connaîtrai plus la joie quand je serai privée du réconfort de votre présence : quelle pitié ! tant de tendresse ! et je ne vous verrai plus ! Il faut que nous nous séparions, mais l'amour restera intact. Prenez cependant cet anneau, et gardez-le, si vous m'aimez...

 

 


Thomas d’Angleterre

 

02thomasdangleterre