Si autrefois sous l'ombre de Gastine Avons joué quelque chanson latine, De Cassandre enamouré, Sus, maintenant, luth doré, Sus ; l'honneur mien, dont la voix délectable, Sait réjouir les princes à la table, Change de forme, et me sois Maintenant un luth françois. Je t'assure que tes cordes Par moi ne seront polues De chansons salement ordes D'un tas d'amours dissolues ; Je ne chanterai les princes, Ni le soin de leurs provinces, Ni moins la nef que prépare Le marchant, las ! trop avare Pour aller après ramer Jusqu'aux plus lointaines terres, Pêchant ne sais quelles pierres Au bord de l'Indique mer. Tandis qu'en l'air je soufflerai ma vie, Sonner Phébus j'aurai toujours envie, Et ses compagnes aussi, Pour leur rendre un grand merci De m'avoir fait poète de nature, Idolâtrant la musique et peinture, Prestre saint de leurs chansons, Qui accordent à tes sons. L'enfant que la douce Muse Naissant d'œil bénin a vu, Et de sa science infuse Son jeune esprit a pourvu, Toujours en sa fantaisie Ardera de poésie Sans prétende un autre bien ; Encor qu'il combattit bien, Jamais les Muses peureuses Ne voudront le prémïer De laurier, fut-il premier Aux guerres victorieuses. La poésie est un feu consumant Par grand ardeur l'esprit de son amant, Esprit que jamais ne laisse En repos, tant elle presse. Voila pourquoi le ministre des Dieux Vit sans grands biens, d'autant qu'il aime mieux Abonder d'inventions Que de grandes possessions. Mais Dieu juste, qui dispense Tout en tous, les fait chanter Le futur en récompense Pour le monde épouvanter. Ce sont les seuls interprètes Des hauts Dieux que les poètes ; Car aux prières qu'ils font L'or aux Dieux criant ne sont, Ni la richesse, qui passe ; Mais un luth toujours parlant L'art des Muses excellent, Pour dessus leur rendre grâce. Que dirons-nous de la musique sainte ? Si quelque amante en a l'oreille atteinte, Lente en larmes goutte à goutte Fondra sa chère âme toute, Tant la douceur d'une harmonie éveille D'un cœur ardent l'amitié qui sommeille, Au vif lui représentant L'aimé parce qu'elle entend. La Nature, de tout mère, Prévoyant que notre vie Sans plaisir serait amère, De la musique eut envie, Et, ses accords inventant, Alla ses fils contentant Par le son, qui loin nous jette L'ennui de l'âme sujette, Pour l'ennui même donter ; Ce que l'émeraude fine Ni l'or tiré de sa mine N'ont la puissance d'ôter. Sus, Muses, sus, célébrez-moi le nom Du grand Appelle, immortel de renom, Et de Zeus qui peignait Si au vif qu'il contraignait L'esprit ravi du pensif regardant A s'oublier soi-même, cependant Que l'œil humait à longs traits La douceur de ses portraits. C'est un céleste présent Transmis çà-bas où nous sommes, Qui règne encore à présent, Pour lever en haut les hommes ; Car, ainsi que Dieu a fait De rien le monde parfait, II veut qu'en petite espace Le peintre ingénieux fasse (Alors qu'il est agité), Sans avoir nulle matière, Instrument de deïté. On dit que cil qui ranima les terres, Vuides de gens, par le jet de ses pierres (Origine de la rude Et grossière multitude), Avait aussi des diamants semé Dont tel ouvrier fut vivement formé, Son esprit faisant connaître L'origine de son être. Dieux ! de quelle oblation Acquitter vers vous me puis-je, Pour rémunération Du bien reçu qui m'oblige ? Certes, je suis glorieux D'être ainsi ami des dieux, Qui seuls m'ont fait recevoir Le meilleur de leur savoir Pour mes passions guérir, Et d'eux, mon luth, tu attends Vivre çà-bas en tout temps, Non de moi, qui dois mourir. Ô de Phébus la gloire et le trophée, De qui jadis le Thracien Orphée Faisait arrêter les vents Et courir les bois suivants ! Je te salue, ô luth harmonieux, Raclant de moi tout le soin ennuyeux, Et de mes amours tranchantes Les peines, lorsque tu chantes ! |
Pierre de Ronsard
Poèmes de Pierre de Ronsard
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