Alphonse de Lamartine (1790-1869)
Recueil : Nouvelles méditations poétiques (1823)

L'apparition de l'ombre de Samuel à Saül



Fragment dramatique

 

Saül, La Pythonisse d'Endor

Saül, seul.
Peut-être... Puisqu'enfin je puis le consulter,
Le Ciel peut-être, est las de me persécuter ?
A mes yeux dessillés la vérité va luire :
Mais au livre du sort, ô Dieu ! que vont-ils lire ?...
De ce livre fatal qui s'explique trop tôt,
Chaque jour, chaque instant, hélas ! révèle un mot.
Pourquoi donc devancer le temps qui nous l'apporte ?
Pourquoi, dans cet abîme, avant l'heure... ? N'importe
C'est trop, c'est trop longtemps attendre dans la nuit
Les invisibles coups du bras qui me poursuit !
J'aime mieux, déroulant la trame infortunée,
Y lire; d'un seul trait, toute ma destinée !

(La Pythonisse d'Endor entre sur la scène.)
Est-ce toi qui, portant l'avenir dans ton sein,
Viens, au roi d'Israël , annoncer son destin ?

La Pythonisse
C'est moi.

Saül
Qui donc es-tu ?

La Pythonisse
La voix du Dieu suprême.

Saül
Tremble de me tromper !

La Pythonisse
Saül, tremble toi-même !

Saül
Eh bien ! qu'apportes-tu ?

La Pythonisse
Ton arrêt !

Saül
Parle.

La Pythonisse
O ciel !
Pourquoi m'as-tu choisie entre tout Israël ?
Mon coeur est faible, ô Ciel ! et mon sexe est timide.
Choisis, pour ton organe, un sein plus intrépide;
Pour annoncer au roi tes divines fureurs,
Qui suis-je ?

Saül, étonné
            Eh quoi ! tu trembles et tu verses des pleurs ! ( ? ? ? ?)
Quoi ! ministre du Ciel, tu n'es plus qu'une femme !

La Pythonisse
Détruis donc, ô mon Dieu, la pitié dans mon âme !

Saül
Par tes feintes terreurs penses-tu m'ébranler ?

La Pythonisse
Mais ma bouche, ô mon roi ! se refuse à parler.

Saül, avec colère
Tes lenteurs, à la fin, lassent ma patience :
Parle, si tu le peux, ou sors de ma présence !

La Pythonisse
Que ne puis-je sortir, emportant avec moi
Tout ce qu'ici je viens prophétiser sur toi ?
Mais un dieu me reticnt, me pousse, me ramène;
Je ne puis résister à son bras qui m'entraîne.
Oui, je sens ta présence, ô dieu persécuteur !
Et ta fureur divine a passé dans mon coeur.

(Avec plus d'horreur.)

Mais quel rayon sanglant vient frapper ma paupière !
Mon oeil épouvanté cherche et fuit la lumière !
Silence !... l'avenir ouvre ses noirs secrets !
Quel chaos de malheurs, de vertus, de forfaits !
Dans la confusion je les vois tous ensemble !
Comment, comment saisir le fil qui les rassemble !
Saül... Michol... David... Malheureux Jonathas !
Arrête ! arrête, ô roi ! ne m'interroge pas.

Saül, tremblant
Que dis-tu de David, de Jonathas ? achève !

La Pythonisse, montrant une ombre du doigt.
 
Que l'ombre se dissipe et le voile se lève :
C'est lui !...

Saül
              Qui donc ?

La Pythonisse
                        David !...

Saül
                                  Eh bien ?

La Pythonisse
                                           Il est vainqueur !
................................................ ( ? ? ? ?)
Quel triomphe ! O David ! que d'éclat t'environne !
Que vois-je sur ton front ?

Saül
                           Achève !

La Pythonisse
                                   Une couronne !...

Saül
Perfide ! qu'as-tu dit ? lui, David, couronné ?

La Pythonisse, avec tristesse.
Hélas ! et tu péris, jeune homme infortuné !
Pour pleurer ton sort, belle et tendre victime,
Les palmiers de Cadès ont incliné leur cime !...
Grâce ! grâce, ô mon Dieu ! détourne tes fureurs !
Saül a bien assez de ses propres malheurs !...
Mais la mort l'a frappé, sans pitié pour ses charmes,
Hélas ! et David même en a versé des larmes !...

Saül
Silence ! c'est assez : j'en ai trop écouté.

La Pythonisse
Saül, pour tes forfaits ton fils est rejeté.
D'un prince condamné Dieu détourne sa face,
D'un souffle de sa bouche il dissipe sa race :
Le sceptre est arraché !...

Saül, l'interrompant avec violence.
                           Tais-toi, dis-je, tais-toi !

La Pythonisse
Saül, Saül, écoute un Dieu plus fort que moi !
Le sceptre est arraché de tes mains sans défense;
Le sceptre dans Juda passe avec ta puissance,
Et ces biens, par Dieu même, à ta race promis,
Transportés à David, passent tous à ses fils.
Que David est brillant ! que son triomphe est juste !
Qu'il sort de rejetons de cette tige auguste !
Que vois-je ? un Dieu lui-même... ! O vierges du saint lieu !
Chantez, chantez David ! David enfante un Dieu !...

Saül
Ton audace à la fin a comblé la mesure :
Va, tout respire en toi la fourbe et l'imposture.
Dieu m'a promis le trône, et Dieu ne trompe pas.

La Pythonisse
Dieu promet ses fureurs à des princes ingrats.

Saül
Crois-tu qu'impunément ta bouche ici m'outrage ?

La Pythonisse
Crois-tu faire d'un Dieu varier le langage ?

Saül
Sais-tu quel sort t'attend ? Sais-tu... ?

La Pythonisse
                                        Ce que je sais,
C'est que ton propre bras va punir tes forfaits;
Et qu'avant que des cieux le flambeau se retire,
Un Dieu justifiera tout ce qu'un Dieu m'inspire.
Adieu; malheureux père ! adieu, malheureux roi !
(Elle se retire, Saül la retient par force.)

Saül
Non, non, perfide, arrête ! écoute, et réponds-moi.
C'est souffrir trop longtemps l'insolence et l'injure :
Je veux convaincre ici ta bouche d'imposture.
Si le Ciel à tes yeux a su les révéler,
Quels sont donc ces forfaits dont tu m'oses parler ?

La Pythonisse
L'ombre les a couverts, l'ombre les couvre encore,
Saül ! Mais le Ciel voit ce que la terre ignore.
Ne tente pas le Ciel.

Saül
                     Non : parle si tu sais.

La Pythonisse
L'ombre de Samuel te dira ces forfaits...

Saül
Samuel ! Samuel ? Eh quoi ! que veux-tu dire ?

La Pythonisse
Toi-même, en traits de sang, ne peux-tu pas le lire ?

Saül
Eh bien, qu'a de commun ce Samuel et moi ?

La Pythonisse
Qui plongea dans son sein ce fer sanglant ?

Saül
                                           Qui ?

La Pythonisse
                                                Toi !

Saül,furieux et se précipitant sur elle avec sa lance.
Monstre, qu'a trop longtemps épargné ma clémence,
Ton audace à la fin appelle ma vengeance !
(Prêt à la frapper.)
Tiens; va dire à ton Dieu, va dire à Samuel,
Comment Saül punit ton imposture...

(Au moment où il va frapper, il voit l'ombre de Samuel,
il laisse tomber la lance, il recule.)

                                    O Ciel !
Ciel ! que vois-je ? C'est toi ! c'est ton ombre sanglante !
Quel regard !... Son aspect m'a glacé d'épouvante !
Pardonne, ombre fatale ? oh ! pardonne ! oui, c'est moi,
C'est moi qui t'ai porté tous ces coups que je vois !
Quoi ! depuis si longtemps ! quoi ! ton sang coule encore !
Viens-tu pour le venger ?... Tiens...

(Il découvre sa poitrine et tombe à genoux.)

                                       Mais il s'évapore !...

(La Pythonisse disparaît pendant ces derniers mots.)

 

 


Alphonse de Lamartine

 

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