Pétrarque (1304-1374)
Recueil : Sonnets et Canzones - Pendant la vie de Madame Laure Traductions, commentaires et numérotations de Francisque Reynard (1883) Pendant la vie de Laure - Sonnets 201 à 206(260/366) - Sonnet 201 : La beauté de Laure est la gloire de la Nature ; il n’y a donc point de dame qui se puisse comparer à elle. Sonnet 201 La beauté de Laure est la gloire de la Nature ; il n’y a donc point de dame qui se puisse comparer à elle.
Non si pareggi a lei qual piú s'aprezza, no la bella romana che col ferro Questa excellentia è gloria, s'i' non erro,
Qu’elle ne se compare point à elle, celle qu’on prise le plus, à quelque époque, sur quelques bords étrangers que ce soit ; non plus que celle qui, par son éclatante beauté, jeta la Grèce dans les plus grands malheurs, et Troie dans les dernières convulsions ; Ni la belle Romaine qui ouvrit avec le fer sa chaste et dédaigneuse poitrine ; ni Polixène, Isiphile et Argia. Cette supériorité est, si je ne me trompe, une grande gloire pour la Nature, et pour moi une joie suprême. Mais quoi ? elle vient bien tardivement et s’en va bien vite.
Les dames qui voudraient prendre des leçons de vertu, devront jeter les yeux sur Laure.
Come s'acquista honor, come Dio s'ama, Ivi 'l parlar che nullo stile aguaglia, l'infinita belleza ch'altrui abbaglia,
C’est là qu’on apprend comment l’honneur s’acquiert, comment on aime Dieu, comment on réunit la chasteté à la grâce, et quel est le droit chemin pour aller au ciel qui l’attend et la désire. Là qu’on apprend le parler que nul style n’égale ; à se bien taire, et ces saintes manières que l’esprit humain ne peut expliquer dans les livres. Mais on n’y apprend point la beauté infinie qui éblouit tous les autres ; car ces douces lumières s’acquièrent naturellement et non par l’art.
Il prouve que l’honneur doit être plus cher que la vie.
et qual donna si lascia di suo honor privare, Né di Lucretia mi meravigliai, Vengan quanti philosophi fur mai,
Et celle qui se laisse ravir l’honneur, n’est plus ni dame, ni vivante ; et si elle paraît à la vue ce qu’elle était avant, une telle existence est cruelle et mauvaise bien plus que la mort, et bien plus féconde en peines amères. Et dans Lucrèce, ce qui m’étonne, c’est qu’elle ait eu besoin de recourir au fer pour mourir, et que sa douleur ne lui ait pas suffi. Que tous les philosophes qui furent jamais, viennent à parler là-dessus : tous leurs raisonnements seront vils ; et celui-ci sera le seul que nous verrons prendre son vol.
Laure méprise tellement les vanités, qu’elle serait désespérée d’être belle, si elle n’était pas chaste.
vera donna, et a cui di nulla cale, Gentileza di sangue, et l'altre care L'alta beltà ch'al mondo non à pare
Vraie Dame, et à qui tout est indifférent, sinon l’honneur que tu moissonnes plus que toute autre ; tu ne crains ni la glue, ni les liens, ni les rets d’Amour, de même que les artifices d’autrui ne peuvent rien contre ta sagesse. Tu méprises également, comme un vil fardeau, la noblesse du sang, et toutes ces autres choses si. précieuses parmi nous : les perles, les rubis et l’or. La sublime beauté qui n’a pas sa pareille au monde, te serait un ennui, n’était qu’elle te semble un ornement et une parure pour le beau trésor de la chasteté.
Laure est si sévère à son égard qu’elle le ferait mourir, s’il n’espérait la rendre compatissante
ché quando nasce et mor fior, herba et foglia, Vivo sol di speranza, rimembrando Non è sí duro cor che, lagrimando,
Car soit que naisse et meure la fleur, l’herbe et la feuille, soit pendant la clarté du jour ou l’obscurité de la nuit, je pleure à toute heure. J’ai bien sujet de me plaindre de ma destinée, de ma Dame et d’Amour. Je vis seulement d’espérance, me rappelant que j’ai déjà vu une petite goutte d’eau user, par une incessante persévérance, le marbre et les pierres les plus dures. Il n’est pas de cœur si dur qu’à force de larmes, de prières, d’amour, on ne finisse par émouvoir, ni de si froide volonté qu’on ne réchauffe.
Il se plaint d’être loin de Laure et de Colonna, les deux seuls objets de son affection.
Poi quel dolce desio ch'Amor mi spira Carità di signore, amor di donna Un lauro verde, una gentil colomna,
Puis ce doux désir qu’Amour m’inspire, me conduit à la mort sans que je m’en aperçoive ; et pendant que je cherche en vain mes deux lumières, en quelque endroit que je sois, jour et nuit je soupire. L’amitié d’un seigneur, l’amour d’une dame, voilà les chaînes dont je suis lié au milieu de nombreux tourments, et où je me suis moi-même enserré. J’ai porté dans mon sein un vert Laurier, une noble Colonne, l’un quinze ans et l’autre dix-huit, et jamais je ne m’en suis séparé.
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Pétrarque
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