De sainte Esglise - (voir version moderne)
I
Rimer m'estuet, c'or ai matire;
A bien rimer pour ce m'atire,
Si rimerai de sainte Eglise.
N'en puis plus fere que le dire,
S'en ai le cuer taint et plain d'ire
Quant je la voi en tel point mise.
Ha ! Jhesucriz,
car te ravise
Que la lumiere soit esprise
C'on a estaint pour toi despire !
La loi que tu nous as aprise
Est ci vencue et entreprise
Qu'elle se torne a desconfire.
II
Des yex dou cuer ne veons gote,
Ne que la taupe soz la mote.
Entendez me vous, ne vous, voir ?
Ou se vient chacun se dote.
Ahi ! Ahi ! fole gent tote
Qui n'osez connoistre le voir,
Comme je dout par estovoir
Ne face Diex sor vous plovoir
Tele pluie com la degoute !
Se l'en puet paradis avoir
Pour brun abit ou blanc ou noir,
Qu'il a moult de fox en sa rote !
III
Je tien bien a fol et a nice
Saint Pol, saint Jaque de Galice,
Saint Bertelemieu, saint Vincent,
Qui furent sanz mal et sanz vice
Et pristrent, sanz autre delice,
Martirez pour Dieu plus de cent.
Li saint preudome
qu'en musant
Aloient au bois pourchacent
Racines en leu de device,
Cil refurent fol voirement
S'on a Dieu si legierement
Pour large cote et pour pelice.
IV
Vous devin et vous discretistre,
Je vous jete fors de mon titre,
De mon titre devez fors estre,
Quant le cinqueime-esvengelistre
Vost on fere mestre et menistre
De nous parler dou roi celestre.
Encore vous feront
en chanp pestre
Si com autre berbiz chanpestre,
Cil qui font la novelle espitre.
Vous estes mitres, non pas mestre:
Vous copez Dieu l'oroille destre;
Diex vous giete de son regitre.
V
De son registre, il n'en puet mais;
Bien puet passer avril et mays
Et sainte Eglise puet bien brere,
Car veritez a fet son lais,
Ne l'ose dire clers ne lais,
Si s'en refuit en son repere.
Qui la verité
veut retrere,
Vous dotez de vostre doere,
Si ne puet issir dou palais
Car les denz muevent le retrere
Et li cuers ne s'ose avant trere;
Se Diex vous het, il n'en puet mais.
VI
Ahi ! prelat esnervoié,
Com a l'en or bien emploié
Le patremoine a Crucefi !
Par les goles vous ont loié
Cil qui souvent ont renoié
Dieu, lessié pour son atefi.
Dou remenant
vous di je: Fi !
N'en avrez plus, je vous afi:
Encor vous a Diex trop paié.
De par ma langue vous desfi:
Vous en yrez de fi en fi
Jusques en enfer l'entoié.
VII
Il est bien raison et droiture
Vous laissiez la sainte Escriture,
Don sainte Eglise est desconfite !
Vous tesiez la sainte Escriture,
Selonc Dieu menez vie obcure
Et c'est vostre vie petite.
Qui vous flate entor
vous abite;
La profecie est bien escrite:
Qui Dieu aime droit prent en cure;
La char est en enfer afflite
Qui pour paor avra despite
Droiture et raison et mesure.
VIII
L'eve qui sanz corre tornoie
Assez plus tost un home noie
Que celle qui adés decort.
Pour ce vous di, se Diex me voie,
Tiex fet senblent qu'a Dieu s'aploie
Que c'est l'eve qui pas ne cort.
Helas ! tant
en corent a cort
Qu'a povre gent font si le sort
Et au riches font feste et joie.
Et prometent a un mot cort
Saint paradis a coi que tort:
Ja ne diront se Diex l'otroie !
IX
Je ne blame pas gent menue:
Il sont ausi com beste mue;
L'en lor fet canc'on veut acroire,
L'en lor fet croire de venue
Une si grant descovenue
Que brebiz blanche est tote noire.
"Gloria laus", c'est "gloire
loire";
Il nous font une grant estoire
Nes dou manche de la charrue,
Pour coi il n'ont autre mimoire.
Dites lor "c'est de saint Gregoire",
Quelque chose soit est creüe.
X
Se li rois feïst or enqueste
Sor ceus qui ce font si honeste,
Si com il fet sot ces bailliz !
C'ausin ne trueve clerc ne prestre
Qui ost enquere de lor geste,
Dont li ciegles est mal bailliz !
Sanz naturel
lor est failliz
Quant cil qui jurent es palliz
Nous font orandroit grant moleste
S'il n'ont bons vins et les blanz liz.
Se Diex les a pour ce esliz,
Pour po perdi sainz Poz la teste.
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Sur la sainte Ėglise
I
Je dois faire un poème : j’ai un sujet tout prêt :
je me prépare donc à faire un beau poème,
et je le ferai sur la sainte Ėglise.
Je ne puis rien faire de plus qu’en parler,
pourtant je suis rempli d’une colère noire
quand je vois dans quel état elle est.
Ah ! Jésus-Christ, veille donc
à ce que rallume la lumière
qu’on a éteinte par mépris
de toi !
La loi que tu nous enseignas
subit de tels échecs,en est à un tel point
qu’elle est en pleine déroute.
II
Des yeux du cœur nous n’y voyons pas plus
que la taupe sous la terre.
Vous, là, m’écoutez-vous ? Et vous aussi ? Bien vrai ?
Ou peut-être chacun a-t-il peur de m’entendre.
Hélas
! Hélas ! fous que vous êtes tous,
qui n’osez pas reconnaître la vérité,
comme j’ai peur qu’inévitablement
Dieu fasse pleuvoir sur vous
une pluie comme ailleurs il en
ruisselle !
Si l’on peut gagner le paradis
contre un froc brun blanc ou noir,
Dieu a beaucoup de fous en sa compagnie !
III
Je tiens vraiment pour des fous et des sots
saint Paul, saint Jacques de Galice,
saint Barthélemy, saint Vincent,
qui étaient purs de tout mal, de tout vice
et dont le seul plaisir fut de recevoir
pour
Dieu les mille souffrances du martyre.
Les saints hommes qui, tout en mendiant,
allaient par les bois en cherchant
des racines pour toute richesse,
eux aussi étaient fous vraiment
si on gagne Dieu si facilement
contre une tunique large et une pelisse.
IV
Vous, théologiens, et vous, juristes,
je vous efface de ma liste,
de ma liste vous devez être exclus,
puisqu’on veut confier au cinquième
évangéliste
l’autorité et le ministère
de nous parler du Roi céleste.
Vous verrez : ils vous feront brouter dans les champs,
comme tous les moutons de la campagne,
ceux qui font les
nouvelles épîtres,.
vous êtes des exécuteurs, non des professeurs :
vous coupez à Dieu l’oreille droite ;
Dieu vous efface de son registre.
V
De son registre, c’est inévitable :
le temps peut bien passer, avril et mai,
la sainte Ėglise peut bien gémir,
car la vérité est à son heure dernière
(ni clerc ni laïc
n’ose le dire)
et elle se réfugie dans son trou.
À dire la vérité,
vous avez peur pour vos rentes :
la vérité ne peut sortir de la bouche,
car les dents la marmonnent,
mais
le cœur n’ose s’affirmer ;
Dieu vous hait ? C’est inévitable.
VI
Hélas ! prélats sans énergie,
comme on a bien employé
le patrimoine du Crucifix !
Ils vous tiennent la bouche fermée,
ceux qui n’ont cessé de renier
Dieu, abandonné
par son remplaçant.
Pour le reste , l’Au-delà , je vous dis : Pouah !
Je n’aurai rien de plus, je vous l’affirme :
Dieu vous a déjà trop bien payés.
Ma langue vous défie
:
Vous irez de « pouah » en « pouah »
Jusque dans la boue de l’enfer.
VII
Il est logique et il est juste
que vous délaissiez la sainte Écriture,
entraînant
la débâcle de l’Église !
Vous ne proclamez pas la sainte Écriture,
au regard de Dieu vous vivez dans les ténèbres
d’une vie rabougrie.
Le flatteur est votre familier.
la
prophétie est écrite noir sur blanc :
Qui aime Dieu cherche la justice ;
elle souffre en enfer, la chair
qui par peur aura délaissé
la justice, le droit et la pondération.
VIII
L’eau qui sans couler tourbillonne
a plus tôt fait de noyer un homme
que celle qui est toujours courante.
C’est pourquoi je vous dis – Dieu m’assiste ! -
que tel a l’air d’être
soumis à Dieu
qui est une eau sans courant.
Hélas ! il es est tant qui courent à la cour,
devant les pauvres font la sourde oreille
et avec les riches se mettent en frais,
leur promettant d’emblée
le saint paradis … sans garantie pour la suite :
Ils n’y seront pas pour dire si Dieu l’octroie.
IX
Je ne blâme pas les petites gens :
ils sont comme des bêtes privées de raison ;
on leur fait croire ce qu’on veut,
on arrive à leur faire croire
des énormités, comme par exemple
qu’une brebis blanche est toute noire.
« Gloria laus », c’est « gloire à l’os » ;
ils nos font toute une histoire
même du manche de leur charrue,
la seule chose à
laquelle ils s’entendent.
Dites-leur : « C’est le saint Grégoire »,
quoi que ce soit, ils le croiront.
X
Si seulement le roi faisait une enquête
sur ces gens qui se disent
si honnêtes,
comme il en fait sur les baillis !
Que ne trouve-t-il de même un clerc ou un prêtre
qui ose faire une enquête sur leurs faits et gestes,
dont le monde souffre tant !
Clercs et prêtres
perdent la raison
quand ils voient que ces gens qui couchaient sur la paille
nous persécutent maintenant
s’ils n’ont bons vins et draps blancs.
Si c’est pour cela que Dieu les a choisis,
saint Paul s’est fait décapité pour peu de choses.