Si la douleur de mon esprit
Je pouvais montrer par parole
Ou la déclarer par écrit,
Oncques ne fut si triste rôle ;
Car le mal qui plus fort m'affole
Je le cache et couvre plus fort ;
Pourquoi
n'ai rien qui me console,
Fors l'espoir de la douce mort.
Je sais que je ne dois celer
Mon ennui, plus que raisonnable ;
Mais si ne saurait mon parler
Atteindre à mon deuil importable ;
A l'écriture véritable
Défaudrait la force à ma main,
Le
taire me serait louable,
S'il ne m'était tant inhumain.
Mes larmes, mes soupirs, mes cris
Dont tant bien je sais la pratique,
Sont mon parler et mes écrits,
Car je n'ai autre rhétorique.
Mais leurs effets à Dieu j'applique
Devant son trône de pitié,
Montrant par raison et réplique
Mon coeur souffrant plein d'amitié.
Ô Dieu qui les vôtres aimez,
J'adresse à vous seul ma complainte ;
Vous qui les amis estimez,
Voyez l'amour que j'ai sans feinte,
Où par votre loi suis contrainte,
Et par nature et par raison
J'appelle chacun saint et sainte,
Pour se joindre à mon oraison.
Las ! celui que vous aimez tant
Est détenu par maladie
Qui rend son peuple et mal content,
Et moi envers vous si hardie
Que j'obtiendrai, quoi que l'on die,
Pour lui très parfaite santé ;
De vous
seul ce bien je mendie
Pour rendre chacun contenté.
C'est celui que vous avez oint
A Roi sur nous par votre grâce ;
C'est celui qui a son coeur joint
A vous, quoi qu'il die ou qu'il fasse,
Qui votre foi en toute place
Soutient, laquelle le rend sûr !
De voir
à jamais votre face :
Oyez donc les cris de sa soeur.
Hélas ! c'est votre vrai David,
Qui en vous seul a sa fiance ;
Vous vivez en lui tant qu'il vit,
Car de vous a vraie science ;
Vous régnez en sa conscience,
Vous êtes son Roi et son Dieu.
En autre
nul n'a confiance
Ni n'a son coeur en autre lieu.
Pour maladie et pour prison
Pour peine, douleur ou souffrance,
Pour envie ou pour trahison
N'a eu en vous moindre espérance.
Par lui êtes connu en France
Mieux que n'étiez le temps passé :
Il
est ennemi d'ignorance,
Son savoir tout autre a passé.
De toutes ses grâces et dons
A vous seul a rendu la gloire,
Par quoi les mains à vous tendons
Afin qu'ayez de lui mémoire.
Puisqu'il vous plaît lui faire boire
Votre calice de douleurs,
Donnez
à nature victoire
Sur son mal, et notre malheur.
Ô grand médecin tout-puissant,
Redonnez-lui santé parfaite,
Et des ans vivre jusqu'à cent,
Et à son coeur ce qu'il souhaite :
Lors sera la joie refaite
Que douleur brise dans nos coeurs ;
Dont louange vous sera faite
De femmes, enfants et serviteurs.
Par Jésus-Christ notre sauveur,
En ce temps de sa mort cruelle,
Seigneur, j'attends votre faveur
Pour en avoir bonne nouvelle.
J'en suis loin, dont j'ai douleur telle
Que nul ne la peut estimer.
Ô que la
lettre sera belle
Qui le pourra sain affermer !
Le désir du bien que j'attends
Me donne de travail matière ;
Une heure me dure cent ans,
Et me semble que ma litière
Ne bouge, ou retourne en arrière ;
Tant j'ai de m'avancer désir.
Ô
qu'elle est longue la carrière
Où à la fin gît mon plaisir !
Je regarde de tous côtés
Pour voir s'il arrive personne,
Priant sans cesser, n'en doutez,
Dieu que santé à mon Roi donne.
Quand nul ne vois, l'oeil abandonne
A pleurer ; puis, sur le papier,
Un peu de ma douleur j'ordonne :
Voilà mon douloureux métier.
Ô qu'il sera le bienvenu
Celui qui, frappant à ma porte,
Dira : le roi est revenu
En sa santé très bonne et forte !
Alors sa soeur plus mal que morte
Courra baiser le messager
Qui telles nouvelles
apporte,
Que son frère est hors de danger.
Avancez-vous, homme et chevaux,
Assurez-moi, je vous supplie,
Que notre Roi pour ses grands maux
A reçu santé accomplie.
Lors serai de joie remplie.
Las ! Seigneur Dieu éveillez-vous,
Et votre oeil
sa douceur déplie,
Sauvant votre Christ et nous tous !
Sauvez, Seigneur, Royaume et Roi,
Et ceux qui vivent en sa vie !
Voyez son espoir et sa foi,
Qui à la sauver vous convie.
Son coeur, son désir, son envie,
A toujours offert à vos yeux ;
Rendez notre
joie assouvie
Le nous donnant sain et joyeux.
Vous le voulez et le pouvez :
Ainsi mon Dieu à vous m'adresse ;
Car le moyen vous seul savez
De m'ôter hors de la détresse
De peur de pis, qui tant me presse,
Que je ne sais là où j'en suis
;
Changez en joie ma tristesse,
Las ! hâtez-vous car plus n'en puis !