Fuyons ces tristes lieux, ô maîtresse adorée ! Nous perdons en espoir la moitié de nos jours, Et la crainte importune y trouble nos amours. Non loin de ce rivage est une île ignorée, Interdite
aux vaisseaux, et d’écueils entourée. Un zéphyr éternel y rafraîchit les airs. Libre et nouvelle encor, la prodigue nature Embellit de ses dons ce point de l’univers : Des ruisseaux
argentés roulent sur la verdure, Et vont en serpentant se perdre au sein des mers ; Une main favorable y reproduit sans cesse L’ananas parfumé des plus douces odeurs ; Et l’oranger touffu, courbé
sous sa richesse, Se couvre en même temps et de fruits et de fleurs. Que nous faut-il de plus ? Cette île fortunée Semble par la nature aux amants destinée. L’Océan la resserre, et deux
fois en un jour De cet asile étroit on achève le tour. Là, je ne craindrai plus un père inexorable. C’est là qu’en liberté tu pourras être aimable, Et couronner l’amant
qui t’a donné son cœur. Vous coulerez alors, mes paisibles journées, Par les nœuds du plaisir l’une à l’autre enchaînées : Laissez-moi peu de gloire et beaucoup de bonheur. Viens ; la nuit est obscure et le ciel sans nuage ; D’un éternel adieu saluons ce rivage, Où par toi seule encor mes pas sont retenus. Je vois à l’horizon l’étoile de Vénus : Vénus dirigera notre course incertaine. Éole exprès pour nous vient d’enchaîner les vents ; Sur les flots aplanis Zéphyre souffle à peine ; Viens ; l’Amour jusqu’au port
conduira deux amants.