Camille Saint-Saëns (1835-1921)
Recueil : Rimes familières (1890) - Poésies diverses

Adieu



À M. Louis Gallet.

 

Je pars. Le vaisseau superbe
Qui m'emportera demain
Comme un sanglier dans l'herbe
Dort, puissant, calme et hautain.
Trouverai-je la tempête ?
Le cyclone, cet enfer ?
Qu'importe ! c'est une fête
De s'évader sur la mer.
Je vais dans une île verte
Que couronnent les volcans;
Cette île n'est pas déserte:
On y vit plus de cent ans.
Là sont des plantes énormes,
Des feuillages d'ornement.
Vous m'attendrez sous les ormes
En disant: quel garnement !
Les succès et les déboires
Des artistes du moment,
Les batailles oratoires
Des membres du Parlement,
L'Opéra, temple des gloires
Et des ennuis mêmement,
Je vous laisse ces histoires:
Jouissez-en largement !
Moi, j'aurai pour nourriture
De mon âme et de mon coeur
Le calme de la Nature,
L'oubli, père du bonheur !
Ce sont voluptés réelles;
Et je m'embarquerai sur
Les triomphantes nacelles,
Bercé par la mer d'azur
Où les poissons ont des ailes !

 

 


Camille Saint-Saëns

 

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