Ainsi, vainqueur de Troie et des vents et des flots, D'un navire emprunté pressant les matelots, Le fils du vieux Laèrte arrive en sa patrie, Baise, en pleurant, le sol de son île chérie; Il reconnaît
le port couronné de rochers, Où le vieillard des mers accueille les nochers, Et que l'olive épaisse entoure de son ombre; il retrouve la source et l'antre humide et sombre. Où l'abeille murmure; où,
pour charnier les yeux, Teints de pourpre et d'azur, des tissus précieux Se forment sous les mains des naÏades sacrées; Et dans ses premiers voeux ces nymphes adorées (Que ses yeux n'osaient plus espérer
de revoir) De vivre, de régner lui permettent l'espoir.
Ô des fleuves français brillante souveraine, Salut ! ma longue course à tes bords me ramène, Moi que ta nymphe pure en son lit de roseaux Fit errer tant de fois au doux bruit de ses eaux; Moi qui la
vis couler plus lente et plus facile, Quand ma bouche animait. la flûte de Sicile; Moi, quand l'amour trahi me fit verser des pleurs, Qui l'entendis gémir et pleurer mes douleurs. Tout mon cortége antique,
àux chansons langoureuses, Revole comme moi vers tes rives heureuses. Promptes dans tous mes pas à me suivre en tous lieux, Le rire sur la bouche et les pleurs dans les yeux, Partout autour de moi mes jeunes élégies Promenaient les éclats de leurs folles orgies; Et les cheveux épars, se tenant-par la main De leur danse élégante égayaient mon chemin. Il est bien doux d'avoir dans sa vie innocente Une muse
naïve et de haines exempte, Dont l'honnête candeur ne garde aucun secret; Où l'on puisse au hasard, sans crainte, sans apprêt. Sûr de ne point rougir en voyant la lumière, Répandre,
dévoiler son ame toute entière. C'est ainsi, promené sur tout cet univers, Que mon coeur vagabond laisse tomber des vers. De ses pensers errans vive et rapide image, Chaque chanson nouvelle a son nouveau
langage, Et des rêves nouveaux, un nouveau sentiment: Tous sont divers, et tous furent vrais un moment.
Mais que les premiers pas ont d'alarmes craintives ! Nymphe de Seine, on dit que Paris sur tes rives Fait asseoir vingt conseils de critiques nombreux, Du Pinde partagé despotes soupçonneux Affaiblis de leurs yeux
la vigilance amère. Dis-leur que sans s'armer d'un front dur et sévère, Ils peuvent négliger les pas et les douceurs D'une muse timide, et qui parmi ses soeurs, Rivale de personne et sans demander
grâce, Vient, le regard baissé, solliciter sa place; Dont la main est sans tache, et n'a connu jamais Le fiel dont la satire envenime ses traits.