Ô Muses, accourez; solitaires divines, Amantes des ruisseaux, des grottes, des collines ! Soit qu'en ses beaux vallons Nîme égare vos pas; Soit que de doux pensers, en de riants climats, Vous retiennent aux
bords de Loire ou de Garonne; Soit que, parmi les choeurs de ces nymphes du Rhône, La lune, sur les prés où son flambeau vous luit, Dansantes, vous admire au retour de la nuit; Venez. J'ai fui la ville aux
Muses si contraire, Et l'écho fatigué des clameurs du vulgaire. Sur les pavés poudreux d'un bruyant carrefour Les poétiques fleurs n'ont jamais vu le jour. Le tumulte et les cris font fuir avec la
lyre L'oisive rêverie au suave délire; Et les rapides chars et leurs cercles d'airain Effarouchent les vers, qui se taisent soudain. Venez. Que vos bontés ne me soient point avares.
Mais, oh ! faisant de vous mes pénates, mes lares, Quand pourrai-je habiter un champ qui soit à moi ! Et, villageois tranquille, ayant pour tout emploi Dormir et ne rien faire, inutile poëte, Goûter le
doux oubli d'une vie inquiète ! Vous savez si toujours, dès mes plus jeunes ans, Mes rustiques souhaits m'ont porté vers les champs; Si mon coeur dévorait vos champêtres histoires, Cet âge
d'or si cher à vos doctes mémoires, Ces fleuves, ces vergers, Éden aimé des cieux Et du premier humain berceau délicieux; L'épouse de Booz, chaste et belle indigente, Qui suit d'un pas
tremblant la moisson opulente; Joseph, qui dans Sichem cherche et retrouve, hélas ! Ses dix frères pasteurs qui ne l'attendaient pas; Rachel, objet sans prix qu'un amoureux courage N'a pas trop acheté de
quinze ans d'esclavage. Oh ! oui, je veux un jour, en des bords retirés, Sur un riche coteau ceint de bois et de prés, Avoir un humble toit, une source d'eau vive Qui parle, et dans sa fuite et féconde et
plaintive Nourrisse mon verger, abreuve mes troupeaux. Là je veux, ignorant le monde et ses travaux, Loin du superbe ennui que l'éclat environne, Vivre comme jadis, aux champs de Babylone, Ont vécu,
nous dit-on, ces pères des humains Dont le nom aux autels remplit nos fastes saints; Avoir amis, enfants, épouse belle et sage; Errer, un livre en main, de bocage en bocage; Savourer sans remords, sans crainte,
sans désirs, Une paix dont nul bien n'égale les plaisirs.
Douce mélancolie ! aimable mensongère, Des antres, des forêts déesse tutélaire, Qui vient d'une insensible et charmante langueur Saisir l'ami des champs et pénétrer son coeur, Quand,
sorti vers le soir des grottes reculées, Il s'égare à pas lents au penchant des vallées, Et voit des derniers feux le ciel se colorer, Et sur les monts lointains un beau jour expirer. Dans sa volupté
sage, et pensive et muette, Il s'assied, sur son sein laisse tomber sa tête. Il regarde à ses pieds, dans le liquide azur Du fleuve qui s'étend comme lui calme et pur, Se peindre les coteaux, les toits et
les feuillages, Et la pourpre en festons couronnant les nuages. Il revoit près de lui, tout à coup animés, Ces fantômes si beaux, de nos coeurs tant aimés, Dont la troupe immortelle habite sa
mémoire Julie, amante faible et tombée avec gloire; Clarisse, beauté sainte où respire le ciel, Dont la douleur ignore et la haine et le fiel, Qui souffre sans gémir, qui périt sans murmure; Clémentine adorée, âme céleste et pure, Qui, parmi les rigueurs d'une injuste maison, Ne perd point l'innocence en perdant la raison. Mânes aux yeux charmants, vos images chéries Accourent
occuper ses belles rêveries; Ses yeux laissent tomber une larme. Avec vous Il est dans vos foyers, il voit vos traits si doux. A vos persécuteurs il reproche leur crime. Il aime qui vous aime, il hait qui vous opprime. Mais tout à coup il pense, ô mortels déplaisirs ! Que ces touchants objets de pleurs et de soupirs Ne sont peut-être, hélas ! que d'aimables chimères, De l'âme et du génie enfants
imaginaires. Il se lève, il s'agite à pas tumultueux; En projets enchanteurs il égare ses voeux: Il ira le coeur plein d'une image divine, Chercher si quelques lieux ont une Clémentine, Et dans
quelque désert, loin des regards jaloux, La servir, l'adorer et vivre à ses genoux.