Je ne suis plus l’enfant et tu n’es plus l’espiègle Qui naguère, le long des verts épis de seigle, Effarions les oiseaux du printemps par nos jeux, Ou qui marchions, le long des aubépins
neigeux Dont la branche en passant vous taquine et vous frôle, Enlacés et l’épaule appuyée à l’épaule, Parlant tout bas d’amour qu’on ne peut épuiser Et
ton front juste à la hauteur de mon baiser. Six ans se sont passés depuis lors, six années ! Et le beau temps n’est plus des blondes matinées, Du ciel dans le regard, du vent dans les cheveux, De la lèvre chanteuse et facile aux aveux, Et des perles d’argent du rire qui s’égrène Comme une fleur qui sème au loin sa folle graine. — Nous ne regrettons pas, sans doute, nos vingt
ans, Car notre amour loyal grandit avec le temps ; Mais le mien ne devient ni courageux ni mâle. Je suis toujours enfant pour souffrir ; et plus pâle Est mon front, et mon cœur plus sombre et plus amer. Tel
qu’à l’écueil revient le lourd paquet de mer, La cigogne au clocher, et la flèche à la cible, Tel je reviens toujours à mon rêve impossible, À ton amour pour moi, qui te
met en danger ; Aux courts instants d’oubli qu’il nous faut abréger, Car nous savons tous deux qu’un espion les compte ; À ce bonheur, que nous cachons comme une honte ; À ce logis, que
j’ose à peine orner de fleurs, Où je viens en secret, comme font les voleurs, Et dans lequel tu vis, hélas ! emprisonnée ; À tes chagrins, et puis à la vingtième année
; Au temps des longs chemins qu’on fait à petits pas, Échangeant des serments légers, ne sachant pas Qu’il faudra tant souffrir et que c’est pour la vie ; Au bon temps où, parmi la
nature ravie, On s’aime en ne songeant qu’à la beauté des cieux ;