Pétrarque (1304-1374)
Recueil : Sonnets et Canzones - Après la mort de Madame Laure Traductions, commentaires et numérotations de Francisque Reynard (1883) Après la mort de Laure - Canzones M-05 à M-08(331/366) - Canzone M-05 : Il a vécu heureux et uniquement pour elle. Elle aurait donc dû mourir à son heure. Canzone M-05 Il a vécu heureux et uniquement pour elle. Elle aurait donc dû mourir à son heure.
Come a corrier tra via, se 'l cibo manca, Mai questa mortal vita a me non piacque Nelli occhi ov'habitar solea 'l mio core Se stato fusse il mio poco intellecto Canzon, s'uom trovi in suo amor viver queto,
Comme un courrier en chemin, si la nourriture lui manque, est contraint de ralentir sa course, la force qui le faisait marcher vite diminuant, ainsi ma vie fatiguée ayant manqué de ce cher aliment auquel vint mordre celle qui met le monde à nu et rend mon cœur triste, la douceur se change d’heure en heure pour moi en amertume, et le plaisir en ennui ; c’est pourquoi, je désespère et je crains de ne pas pouvoir accomplir mon voyage si court. Neige ou poussière au vent, je fuis pour abréger mon pèlerinage ; et qu’ainsi soit, si c’est bien là ma destinée. Jamais cette vie mortelle ne me plut — Amour le sait, lui avec qui j’en parle souvent — sinon à cause de celle qui fut sa lumière et la mienne. Depuis qu’en mourant sur la terre, cet esprit par qui j’ai vécu est allé renaître au ciel, le suivre — que cela ne m’est-il permis ! — est mon suprême désir. Mais j’aurai toujours sujet de me plaindre de ce que je fus malhabile à prévoir mon sort qu’Amour me montra sous ce beau sourcil, pour me donner un autre conseil ; car tel est mort, triste et inconsolé, pour qui, peu auparavant, mourir eût été chose heureuse. Dans les yeux où mon cœur avait coutume d’habiter, jusqu’à ce il portât envie à mon sort cruel, qui le bannit d’une si riche demeure, Amour avait écrit de sa propre main, en lettres pieuses, ce qu’il arriverait bientôt de mon désir d’aller si loin. Il était beau et doux de mourir alors, quand, moi mourant, ma vie ne mourait pas avec moi, mais que survivait au contraire la meilleure partie de moi-même. Maintenant, la Mort a dispersé mes espérances, et un peu de terre pèse sur mon bien. Et je vis ; et je n’y pense jamais sans que je tremble. Si ma faible intelligence eût été avec moi quand j’en avais besoin, et si un autre désir, en la faisant dévier, ne l’eût pas tournée ailleurs, j’aurais bien lu sur le front de ma Dame : Tu es arrivé à la fin de toute ta douceur et au commencement de tes longues amertumes. En entendant cela, doucement délivré en sa présence de mon voile mortel et de cette ennuyeuse et pesante chair, je pouvais m’en aller devant elle pour voir préparer son siège dans le ciel ; maintenant, j’irai après elle désormais et avec d’autres cheveux. Chanson, si tu trouves un homme qui vive tranquille dans son amour, dis : Meurs pendant que tu es heureux ; car la mort qui vient à temps n’est pas une douleur, mais un refuge ; et qui peut bien mourir, ne doit pas chercher à retarder sa mort.
Elle lui apparaît de nouveau, et plus que jamais compatissante, elle cherche à le consoler.
In atto et in parole la ringratio Rispondo: «Io non piango altro che me stesso Ma io che debbo altro che pianger sempre, «I' volea demandar - respond'io allora - : «Son questi i capei biondi, et l'aureo nodo, I' piango; et ella il volto
Par gestes et en paroles je la remercie humblement, et puis je lui demande : « — Or, d’où sais-tu mon état ? — » Et elle : « — Les tristes flots de pleurs dont jamais tu n’es rassasié, et le vent de tes soupirs, à travers tout l’espace arrivent au ciel et troublent ma paix. Te déplaît-il donc si fort que j’aie quitté cette misérable vie pour arriver à une meilleure, alors que cela devrait te plaire, si tu m’aimas autant que tu le montras par ton air et par tes discours ? — Je réponds : « — Je ne pleure pas sur un autre que moi-même, qui suis resté au milieu des ténèbres et des souffrances, toujours aussi certain que tu étais montée au ciel, qu’on est sûr d’une chose qu’on voit de près. Comment Dieu et la Nature auraient-ils mis tant de vertu en un cœur juvénile, si le salut éternel n’avait pas été réservé d’avance à ton bien faire, ô toi, l’une des âmes rares, qui vécus saintement parmi nous, et puis t’envolas subitement au ciel ! « Mais moi, que dois-je faire, sinon pleurer toujours, misérable et seul, car sans toi je ne suis rien ? Que n’ai-je été étouffé à la mamelle et au berceau, afin de ne pas subir les amoureuses épreuves ! — » Et elle : « — Pourquoi pleures-tu, et te consumes-tu ? Combien eût-il mieux valu d’élever tes ailes au dessus de la terre ; et de peser dans une juste balance les choses mortelles et tes douces et trompeuses folies ; et de me suivre, s’il est vrai que tu m’aimes tant, cueillant désormais quelques-uns des rameaux que voici ! — » « — Je voulais demander — réponds-je alors — ce que veulent signifier ces deux feuillages. — » Et elle : « — Toi-même tu réponds, toi dont la plume a tant honoré l’un d’eux. La palme, c’est la victoire ; et moi, jeune encore, j’ai vaincu le monde et moi-même ; le laurier est le signe du triomphe dont je suis digne, grâce à ce Seigneur qui me donna la force. Maintenant toi, si quelqu’un te fait violence, tourne-toi vers lui, demande-lui secours, afin que nous soyons avec lui à la fin de ta course. — » « — Sont-ce là ces cheveux blonds et ce nœud doré — dis-je — qui me lie encore, et ces beaux yeux qui furent mon Soleil ? — » « — Ne divague pas avec les sots ; ne parle pas — dit-elle — et ne crois pas à leur façon. Je suis un pur esprit, et je me réjouis dans le ciel. Ce que tu cherches est déjà réduit en terre depuis longues années ; mais pour te tirer d’angoisse, il m’est donné de t’apparaître ainsi. Et, plus belle que jamais, et à toi plus chère, je serai encore une autre fois celle que je fus, quand, si sauvage et en même temps compatissante, je sauvegardais à la fois ton salut et le mien. — » Je pleure, et elle avec ses mains m’essuie le visage ; et puis elle soupire doucement ; et elle s’afflige avec des paroles capables de rompre les rochers ; et après cela, elle part et le sommeil avec elle.
Amour, pour se disculper, fait le plus bel éloge de Laure.
Cosí 'l mio tempo infin qui trapassato Questi m'à fatto men amare Dio Cercar m'à fatto deserti paesi, Poi che suo fui non ebbi hora tranquilla, Il mio adversario con agre rampogne Ei sa che 'l grande Atride et l'alto Achille, Questo fu il fel, questi li sdegni et l'ire, Et per dir a l'extremo il gran servigio, Ancor, et questo è quel che tutto avanza, Alfin ambo conversi al giusto seggio,
« Ainsi mon temps s’est jusqu’ici passé dans la flamme et dans les peines ; et combien de voies utiles et honnêtes, combien de joies j’ai dédaignées, pour servir ce trompeur cruel ! Et quel esprit a les paroles assez promptes pour pouvoir résumer mon état infortuné, et les reproches si nombreux, et si graves et si justes que j’ai faits de cet ingrat ? Oh ! j’ai goûté peu de miel, et beaucoup d’aloès mêlé au fiel. En quelle amertume il a jeté ma vie, avec sa fausse douceur qui m’entraîna vers l’amoureuse troupe ! Car, si je ne me trompe, j’étais disposé à m’élever au-dessus de la terre ; et il m’a enlevé à la paix et m’a livré à la guerre. « Il m’a fait moins aimer Dieu que je ne devais, et avoir moins soin de moi-même ; pour ma dame, j’ai eu toute pensée en un égal dédain. En cela, lui seul a été mon conseiller, aiguisant sans cesse le juvénile désir à l’impitoyable pierre où j’espérais me reposer de son joug âpre et féroce. Malheureux ! à quoi m’ont servi le génie clairvoyant et altier, et les autres dons que m’a faits le ciel, que je m’en vais changeant de cheveux, et ne peux changer ma volonté obstinée ? Il m’a tellement dépouillé de toute liberté, ce cruel que j’accuse, qu’il m’a changé la vie amère en douce habitude. « Il m’a fait chercher les pays déserts, les bêtes sauvages et les larrons rapaces, les fourrés pleins d’épines, les gens cruels et les coutumes barbares, et toutes les erreurs qui entravent les voyageurs : monts, vallées, marais, et mers et fleuves ; mille lacets de tous côtés tendus ; et l’hiver en des mois inaccoutumés ; tout cela au milieu de fatigues et de périls toujours présents. Et ni celui-ci, ni mon autre ennemie que je fuyais, ne me laissaient seul un instant. Donc, si je n’ai pas, avant le temps, été atteint par une mort acerbe et cruelle, c’est que la pitié céleste a pris soin de mon salut, et non pas ce tyran qui se repaît de mon deuil et de mes maux. « Depuis que je suis devenu sien, je n’ai pas eu une heure tranquille, et je n’espère pas en avoir ; et mes nuits ont banni le sommeil, et je ne peux plus, ni par herbes, ni par enchantements, le leur ramener. Par ruse et par force, il est devenu maître de mes esprits ; et depuis, il n’a pas sonné de cloche, en quelque endroit que ce soit, que je ne l’entendisse. Il sait que je dis vrai, car jamais ver n’a rongé un vieux bois, comme celui-ci a rongé mon cœur où il a fait son nid, et qu’il défie à mort. De là naissent les larmes et les tourments, les paroles et les soupirs dont je finis par me fatiguer et peut-être aussi autrui. Juge, toi qui me connais ainsi que lui. — » Mon adversaire, avec d’aigres reproches, commence : « — Ô dame, écoute l’autre partie qui dira sans faute la vérité dont s’écarte cet ingrat. Celui-ci, dès son premier âge, fut adonné à l’art de vendre des paroles futiles, ou plutôt des mensonges ; et il ne paraît pas avoir honte, ayant été délivré de cet ennui pour goûter mes plaisirs, de se plaindre de moi qui l’ai conservé pur et net contre le désir qui souvent l’entraînait vers son mal ; voilà pourquoi il se lamente maintenant dans cette douce vie qu’il nomme misère, alors que par moi seul il est parvenu à quelque renommée, car j’ai élevé son intelligence où, par elle-même, elle ne se serait jamais élevée. « Il sait que le grand Atride, et le sublime Achille, et Annibal si funeste à votre pays, et un autre encore, le plus illustre de tous par le mérite et la fortune, je les laissai, ainsi que leurs étoiles l’avaient ordonné pour chacun, tomber en un vil amour pour des servantes ; et pour celui-ci, entre mille dames choisies parmi les excellentes, j’en ai choisi une comme il ne s’en verra jamais sous la lune, quand même Lucrèce retournerait à Rome ; et je lui donnai un idiome si doux et un chant si suave, que jamais une pensée basse ou pesante ne put durer devant elle. Telles furent mes tromperies envers celui-ci. « Tel fut le fiel, tels furent les dédains et les colères, plus doux de beaucoup que tout ce qu’aurait pu lui donner aucune autre. D’une bonne semence, je récolte un mauvais fruit, et voilà la récompense qu’obtient celui qui sert un ingrat. Je l’avais si bien conduit sous mes ailes, que sa façon de dire plaisait aux dames et aux cavaliers ; et je le fis monter si haut, que son nom bouillonne parmi les plus chauds génies, et qu’en tous lieux on conserve précieusement ses écrits. Alors qu’il serait peut-être maintenant un discoureur enroué de cour, un homme du vulgaire, je l’exalte et le rends fameux, grâce à ce qu’il apprit dans mon école, et de celle qui fut unique au monde. « Et pour dire en somme le grand service que je lui ai rendu, je l’ai détourné de mille actions déshonnètes ; car jamais, quelque pacte qu’on lui ait proposé, il ne put se complaire à une chose vile. Jeune, il fut réservé et plein de vergogne dans ses actes et dans ses pensées, depuis qu’il est devenu homme lige de celle qui lui imprima au cœur une marque sublime et le fit semblable à elle. Tout ce qu’il a de remarquable et de noble, il le tient d’elle et de moi dont il se plaint. Jamais nocturne fantôme ne fut si plein d’erreur, que celui-ci ne l’est envers nous ; car, depuis qu’il nous connaît, il a été en faveur auprès de Dieu et des hommes ; de cela, l’orgueilleux se lamente et le regrette. « En outre — et voici qui surpasse tout — je lui avais donné des ailes pour voler jusqu’au plus haut du ciel, à travers les choses mortelles qui sont une échelle vers le Créateur pour qui le comprend bien. Car en regardant bien attentivement combien et quelles étaient les vertus contenues dans cette espérance, il pouvait, d’une chose visible à une autre, s’élever jusqu’à la cause première ; et il l’a dit lui-même plus d’une fois dans ses rimes. Maintenant, il m’a mis en oubli avec cette dame que je lui donnai pour colonne de sa frêle vie. — » Sur quoi, je pousse une larmoyante clameur, et je crie : « — Il me la donna bien, mais il me la reprit vite. — » Il répond : « — Ce n’est pas moi, mais celui qui la voulut pour lui. — » À la fin, tournés tous les deux vers le siège de la justice, moi avec un accent tremblant, et lui avec une voix haute et cruelle, chacun conclut pour soi : noble Dame, j’attends ta sentence. Elle alors, souriant : « — Il me plaît d’avoir entendu vos requêtes ; mais il faut plus de temps pour juger en un si grand procès. — »
Repentant, il invoque Marie, et la conjure de le secourir pendant sa vie et à sa mort.
Vergine saggia, et del bel numero una Vergine pura, d'ogni parte intera, Vergine santa d'ogni gratia piena, Vergine sola al mondo senza exempio, Vergine chiara et stabile in eterno, Vergine, quante lagrime ò già sparte, Vergine sacra et alma, Vergine, tale è terra, et posto à in doglia Vergine, in cui ò tutta mia speranza Vergine humana, et nemica d'orgoglio, Il dí s'appressa, et non pòte esser lunge,
Vierge sage, et l’une du beau groupe des bienheureuses vierges prudentes, ou plutôt la première, celle dont la lampe est la plus claire ; ô solide bouclier des affligés contre les coups de la Mort et de la Fortune, sous lequel on trouve le triomphe et non pas seulement le salut ; ô soulagement à l’ardeur aveugle qui consume ici-bas les mortels insensés ; vierge, ces beaux yeux qui virent avec tristesse les plaies impies faites aux doux membres de ton cher fils, tourne-les sur ma périlleuse situation ; car, étant sans résolution, je viens à toi pour avoir un conseil. Vierge pure, en tout parfaite, de ton noble fruit fille et mère, toi qui illumines cette vie et embellis l’autre ; c’est par toi que ton fils et celui du Père souverain, ô brillante et sublime fenêtre du ciel, vint pour nous sauver aux jours suprêmes ; et qui, parmi tous les autres terrestres séjours, a été seule élue, vierge bénie, pour changer en allégresse les pleurs d’Eve. Fais-moi, tu le peux, digne de sa grâce, ô toi éternellement bienheureuse, et qui fus autrefois couronnée dans le royaume céleste. Vierge sainte, pleine de toutes les grâces, qui par une vraie et très haute humilité montas au ciel d’où tu écoutes mes prières ; tu enfantas la source de pitié et le Soleil de justice qui rassérène les siècles remplis d’erreurs obscures et épaisses. Tu possèdes réunis en toi trois noms doux et chers : mère, fille et épouse ; vierge glorieuse, Dame du Roi qui as brisé nos liens et fait le monde libre et heureux, et dans les saintes plaies duquel je te prie, véritable bienfaitrice, de contenter mon cœur. Vierge unique au monde, sans modèle ; qui as énamouré le ciel de tes beautés ; qui n’as eu ni supérieure, ni pareille, ni seconde ; tes saints pensers, tes actes pieux et chastes firent au vrai Dieu un temple sacré et vivant dans ta virginité féconde. Par toi ma vie peut être joyeuse, si à tes prières, ô Marie, vierge douce et pieuse, la grâce abonde là où abonda le péché. Les genoux de l’âme ployés, je te prie d’être mon guide, et de redresser ma voie tortueuse vers une bonne fin. Vierge resplendissante et stable dans l’éternité, étoile de cette mer tempétueuse, guide sûr de tout fidèle nocher ; regarde en quelle terrible tourmente je me retrouve, sans gouvernail, et déjà je suis près de pousser le cri suprême. Mais pourtant mon âme en toi se fie. C’est une pécheresse, je ne le nie pas, ô vierge ; mais je te prie de ne pas laisser ton ennemi rire de mon mal ; ressouviens-toi que c’est notre péché qui a fait que Dieu, pour nous sauver, s’incarna sous une forme humaine en ton flanc virginal. Vierge, que de larmes j’ai déjà répandues, que de supplications et de prières adressées en vain et seulement pour ma peine et à mon grave détriment ! Depuis que je naquis sur la rive de l’Arno, cherchant tantôt dans un lieu et tantôt dans un autre, ma vie n’a pas été autre chose qu’un tourment. La beauté mortelle, les actes et les paroles ont anéanti toute mon âme. Vierge sacrée et sublime, ne tarde pas, car je suis peut-être à ma dernière année. Mes jours plus rapides que la flèche, se sont écoulés entre les misères et les péchés, et la mort seule m’attend. Vierge, elle est poussière et elle a mis mon cœur en deuil, celle qui, vivante, le tint dans les pleurs, et ne savait pas une seule de mes mille souffrances, et quand elle l’aurait su, ce qui advint n’en serait pas moins advenu, car tout autre désir de sa part eût été la mort pour moi, et pour elle une coupable renommée. Maintenant toi, Dame du ciel, toi notre divinité — si parler ainsi est licite et convenable — vierge au sens élevé, tu vois tout ; et ce que d’autres ne pouvaient faire, n’est rien pour ta grande puissance ; mets fin à ma douleur ; ce sera un honneur pour toi, et pour moi le salut. Vierge, en qui j’ai mis le complet espoir que tu pourras et voudras m’aider en ce grand besoin, ne m’abandonne pas au moment du suprême passage. Regarde non pas moi, mais celui qui daigna me créer ; que ce soit non pas mon mérite, mais sa sublime semblance qui est en moi, qui te pousse à avoir cure d’un homme si infime. Méduse et mon erreur ont fait de moi un rocher distillant une eau vaine ; Vierge, remplis de larmes saintes et pieuses mon cœur fatigué : qu’au moins mes derniers pleurs soient pleins de dévotion et débarrassés du limon terrestre, si les premiers ne furent pas exempts de folie. Vierge compatissante et ennemie de l’orgueil, que l’amour de notre principe commun te touche ; aie pitié d’un cœur contrit, humble ; car si je continue àaimer avec une si admirable fidélité un peu de terre périssable, que devrai-je faire pour toi, chose si noble ? Si par tes mains je me relève de mon état si misérable et vil, ô vierge, je consacre et je purifie àton nom et mes pensées, et mon génie, et mon style, ma langue et mon cœur, mes larmes et mes soupirs. Conduis-moi vers un meilleur gué, et accueille favorablement mes désirs si changés. Le jour s’approche et ne peut être loin, tellement le temps court et vole, ô vierge unique et seule ; et mon cœur est aiguillonné tantôt par la conscience, tantôt par la mort. Recommande-moi à ton Fils, vrai homme et vrai Dieu, afin qu’à mon dernier soupir il me reçoive en paix.
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Pétrarque
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