... Nul Monarque en Europe en sa main ne tint onq' Un royaume qui soit si large, ni si long (Si ce n'est un désert), que le royaume large Que tu tiens maintenant tout seul dessous ta charge, Ni si rempli de bien, de peuple et de cités; Car, sans voguer ailleurs, toutes commodités Se produisent ici, blés, vins, forêts et prées; Aussi le trop de chaud n'offense nos contrées, Ni le trop de froideur, ni le vent ruineux, Ni le trac écaillé des dragons venimeux, Ni rochers infertils, ni sablons inutiles. Que dirai plus de toi? de cinq ou de six villes Tu n'es seulement Roi, mais mille et mille encor Avec un million pleines de gens et d'or Te font obéissance, et t'honorent leur Maître, Sur lesquelles on voit ton Paris apparaître Comme un pin élevé sur les petits buissons, Où cent mille artisans en cent mille façons Exercent leurs métiers: l'un aux lettres s'adonne, Et l'autre, conseiller, tes saintes lois ordonne; L'un est peintre, imager, armurier, entailleur, Orfèvre, lapidaire, engraveur, émailleur; Les autres nuit et jour fondent artillerie, Et grands Cyclopes nus font une batterie A grands coups de marteaux, et avec tel compas D'ordre l'un après l'autre au ciel lèvent les bras, Et puis frappent si dru sur le métal qui sonne, Que l'Arsenal prochain, et le fleuve en résonne. Et bref, c'est un grand Dieu que le Roi des François. Tu es tant obéi quelque part où tu sois, Que dès la mer Bretonne à la mer Provençale, Et des monts Pyrénés aux portes de l'Itale (Bien que ton règne soit largement étendu) Si tu avais toussé, tu serais entendu; Car tu n'es pas ainsi qu'un Roi Louis onzième, Ou comme fut jadis le Roi Charles septième, Qui avaient des parents et des frères mutins, Lesquels en s'alliant d'autres Princes voisins, Ou d'un Duc de Bourgogne, ou d'un Duc de Bretagne, Pour le moindre sujet se mettaient en campagne Contre le Roi leur frère, et faisaient contre lui Son peuple mutiner pour le combler d'ennui. Mais tu n'as ni parents, ni frère, qui s'allie Maintenant de Bourgogne ou de la Normandie, Ou des Princes Bretons; tout est sujet à toi, Et la France aujourd'hui ne connaît qu'un seul Roi... |
Pierre de Ronsard
Poèmes de Pierre de Ronsard
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