André Chénier (1762-1794)
Recueil: Bucoliques et Idylles

Mnazile et Chloé


 

Chloé

Fleurs, bocage sonore, et mobiles roseaux
Où murmure zéphyr au murmure des eaux,
Parlez; le beau Mnazile est-il sous vos ombrages ?
Il visite souvent vos paisibles rivages.
Souvent j'écoute, et l'air qui gémit dans vos bois
A mon oreille au loin vient apporter sa voix.


Mnazile

Onde, mère des fleurs, naïade transparente
Qui pressez mollement cette enceinte odorante,
Amenez-y Chloé, l'amour de mes regards.
Vos bords m'offrent souvent ses vestiges épars.
Souvent ma bouche vient sous vos sombres allées
Baiser l'herbe et les fleurs que ses pas ont foulées.
 

Chloé

Oh ! s'il pouvait savoir quel amoureux ennui
Me rend cher ce bocage où je rêve de lui !
Peut-être je devais d'un souris favorable
L'inviter, l'engager à me trouver aimable.


Mnazile

Si pour m'encourager quelque dieu bienfaiteur
Lui disait que son nom fait palpiter mon coeur !
J'aurais dû l'inviter, d'une voix douce et tendre,
A se laisser aimer, à m'aimer, à m'entendre.


Chloé

Ah ! je l'ai vu; c'est lui. Dieux ! je vais lui parler !
O ma bouche, ô mes yeux, gardez de vous troubler.


Mnazile

Le feuillage a frémi. Quelque robe légère
C'est elle ! O mes regards, ayez soin de vous taire.


Chloé

Quoi, Mnazile est ici ? Seule, errante, mes pas
Cherchaient ici le frais et ne t'y croyaient pas.


Mnazile

Seul, au bord de ces flots que le tilleul couronne
J'avais fui le soleil et n'attendais personne.

 

 


André Chénier

 

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