Thomas d’Angleterre (1150-1200)
Recueil : Tristan et Iseut

Tristan et Iseut - le roman de Thomas


 

Le roman de Tristan de Thomas


Très différent du texte de Béroul, bien que contemporain, le roman de Tristan composé vers 1170 par Thomas d’Angleterre, clerc à la cour d’Henri Plantagenêt et Aliénor d’Aquitaine, permet d’imaginer la suite et le dénouement de cette histoire. Six fragments nous sont parvenus : les amants sont découverts endormis par le roi et le nain dans un verger, Tristan se marie avec une autre femme qui s’appelle Iseut aux Blanches Mains, Tristan qui pense toujours à celle qu’il aime, Iseut la Blonde, fait réaliser une salle contenant des statues évoquant son amour, Tristan et Kaherdin se rendent en Angleterre afin de revoir Iseut la Blonde, Tristan retourne en Petite-Bretagne et enfin Tristan et Iseut meurent ensemble.
Thomas dit avoir entendu les récits de différents conteurs bretons, en particulier d’un certain Bréri, poète gallois, et les avoir utilisés pour écrire un roman auquel il prétend donner une unité. Il choisit pour son récit une tonalité très différente de celle de Béroul. Le conflit féodal entre Marc et Tristan est laissé de côté. Discours et monologues se multiplient afin d’expliciter les sentiments des personnages. Certes il redit la force de l’amour qui unit les jeunes gens, mais a surtout le désir d’adapter cette histoire aux exigences de la fin’amor : la passion n’est pas due à la magie d’un philtre, mais au choix de chacun des amants pour l’autre. La culpabilité n’existe pas car la conduite de Tristan et Iseut se justifie ici totalement par la morale courtoise qui exalte l’amour adultère. Thomas cherche essentiellement la  "verur", c’est-à-dire vérité des sentiments et la vraisemblance des caractères. Tristan est un personnage qui se livre à l’introspection, est souvent hésitant, souffre de profonds tourments loin de celle qu’il aime ; ses choix l’entraînent vers de nouvelles souffrances. L’existence de Tristan n’est plus, en l’absence de toute possibilité d’être heureux avec Iseut, qu’une série de renoncements : à sa position sociale, au monde chevaleresque et à tout bonheur personnel.
C’est ainsi que Thomas d’Angleterre insiste sur le fait que Tristan décide d’épouser une autre femme dans l’espoir d’oublier celle qu’il aime. Il supporte mal non seulement d’être séparé d’elle, mais aussi d’imaginer qu’elle accepte de partager le lit de son époux, le roi Marc. Il choisit Iseut aux Blanches mains, sœur de son ami Kaherdin, double de la reine par le nom et la beauté, mais il ne trouve pas l’apaisement dans ce mariage, incapable d’oublier Iseut la Blonde et de la remplacer. L’auteur se complaît ici à analyser longuement les tourments de Tristan, recourant à tous les artifices de la rhétorique.
La scène de la mort des deux amants est la plus belle illustration du pathétique qui caractérise le récit de Thomas. Lors d’un combat contre six redoutables chevaliers, frères d’Estout l’Orgueilleux, Tristan est mortellement blessé. Il demande à Kaherdin de prévenir Iseut la blonde qui seule pourra le guérir. Celle-ci tente de le rejoindre en Petite-Bretagne, mais retardée par les péripéties de la traversée en mer arrive trop tard pour le sauver. Le drame final est causé par l’épouse de Tristan, Iseut aux Blanches Mains, qui par jalousie lui ment et lui fait croire que le bateau qui approche arbore une voile noire et non une voile blanche, ce qui signifie qu’Iseut n’est pas sur le bateau. Tristan pensant que son amie ne viendra pas se laisse mourir. La douleur d’Iseut la Blonde est alors à son comble :

Ami Tristan, quand je vous vois mort, je ne puis ni ne dois continuer à vivre. Vous êtes mort par amour pour moi, et moi mon bien-aimé, je meurs de douleur de n’avoir pu venir à temps. (vv.3233-36).

Thomas insiste sur l’impossibilité physique que connaissent les amants de vivre l’un sans l’autre. Cela le conduit à construire une superbe scène où Iseut s’étend sur le corps de Tristan et, lui baisant la bouche et le visage, se laisse mourir à son tour :

Corps contre corps, bouche contre bouche, elle rend l’âme aussitôt, mourant ainsi auprès de lui de la douleur qu’elle ressent pour son ami. (vv. 3267-70)

Cette scène est l’une de celles qui sont restées au-delà des siècles dans la mémoire des lecteurs et a donné à cette histoire d’amour une grandeur et une beauté inégalées.

 

 


Thomas d’Angleterre

 

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