Clément Marot (1496-1544)
Recueil: L'Adolescence clémentine (1532) - Epistre II

L'Epistre du Despourveu à ma Dame la Duchesse D'Alençon, et de Berry,
Soeur unique du Roy



Si j'ay emprins en ma simple jeunesse
De vous escripre, ô treshaulte Princesse,
Je vous supply, que par doulceur humaine
Me pardonnez, car Bon vouloir, qui meine
Le mien desir, me donna esperance
Que vostre noble, et digne preference
Regarderoit par ung sens tresillustre,
Que petit feu ne peult getter grand lustre.
Aultre raison qui me induit, et inspire
De plus en plus le mien cas vous escripre,
C'est qu'une nuict tenebreuse, et obscure
Me fut advis, que le grand Dieu Mercure
Chief d'Eloquence, en partant des haults Cieulx,
S'en vint en Terre apparoistre à mes yeulx,
Tenant en main sa verge, et Caducée
De deux Serpens: par ordre entrelassée:
Et quand il eut sa face celestine
(Qui des humains la memoire illumine)
Tournée à moy, contenance, ne geste,
Ne peus tenir, voyant ce corps celeste,
Qui d'une Amour entremeslée de ire
Me commença semblables motz à dire.
Mercure en forme de Rondeau
Mille douleurs te feront souspirer,
Si en mon art tu ne veulx inspirer
Le tien esprit par cure diligente:
Car bien peu sert la Poësie gente,
Si bien, et loz on n'en veult attirer.
Et se aultrement tu n'y veulx aspirer,
Certes Amy, pour ton dueil empirer,
Tu souffriras des fois plus de cinquante
Mille douleurs.
Donc si tu quiers au grand chemin tirer
D'honneur, et bien vueilles toy retirer
Vers d'Alençon la Duchesse excellente,
Et de tes faictz (telz qui sont) luy presente,
Car elle peult te garder d'endurer
Mille douleurs.

L'autheur
Apres ces motz, ses aelles esbranla,
Et vers les cours Celestes s'en alla
L'eloquent Dieu: mais à peine fut il
Monté au Ciel par son voller subtil,
Que dedans moy (ainsi qu'il me sembla)
Tout le plaisir du Monde s'assembla.
Les bons propos, les raisons singulieres
Je voys cherchant, et les belles matieres
A celle fin de faire Oeuvre duisante
Pour Dame, tant en vertus reluisante.
Que diray plus ? Certes les miens espritz
Furent des lors comme de joye espris:
Bien disposez d'une veine subtile,
De vous escripre en ung souverain stile.
Mais tout soubdain, Dame tresvertueuse,
Vers moy s'en vint une Vieille hideuse,
Maigre de corps, et de face blemie,
Qui se disoit de Fortune ennemye:
Le cueur avoit plus froid que glace, ou marbre,
Le corps tremblant, comme la fueille en l'arbre,
Les yeux baissez, comme de paour estrainte,
Et s'appeloit par son propre nom Crainte:
Laquelle lors d'ung vouloir inhumain
Me feist saillir la plume hors la main,
Que sur papier tost je voulois coucher,
Pour au labeur mes espritz empescher:
Et tous ces motz de me dire print cure
Mal consonnans à ceulx du Dieu Mercure.
Crainte parlant en forme de Rondeau
Trop hardiment entreprens, et mesfaictz
O toy tant jeune: oses tu bien tes faictz
Si mal bastiz presenter devant celle,
Qui de sçavoir toutes aultres precelle ?
Mal peult aller, qui charge trop grand fais.
Tous tes labeurs ne sont que contrefaictz
Aupres de ceulx des Orateurs parfaictz,
Qui craignent bien de s'adresser à elle
Trop hardiment.
Si ton sens foible advisoit les forfaictz
Aisez à faire en tes simples effetz,
Tu diroys bien, que petite Nasselle
Trop plus souvent, que la grande, chancelle,
Et pour autant, regarde que tu faiz
Trop hardiment.

L'autheur
Ces motz finiz, demeure mon semblant
Triste, transi, tout terny, tout tremblant,
Sombre, songeant, sans seure soustenance,
Dur d'esperit, desnué d'esperance,
Melancolic, morne, marry, musant,
Pasle, perplex, paoureux, pensif, pesant,
Foible, failly, foulé, fasché, forclus,
Confuz, courcé. Croire Crainte concluz,
Bien congnoissant que verité disoit
De celle là, que tant elle prisoit:
Dont je perdz cueur, et audace me laisse:
Crainte me tient, Doubte me meine en laisse,
Plus dur devient le mien esprit qu'enclume.
Si ruay jus encre, papier, et plume,
Voire, et de faict proposois de non tistre
Jamais pour vous Rondeau, Lay, ou Epistre,
Si n'eust esté, que sur ceste entreprise
Vint arriver (à tout sa barbe grise)
Ung bon Vieillard, portant chere joyeuse,
Confortatif, de parolle amoureuse,
Bien ressemblant homme de grand renom,
Et s'appeloit Bon Espoir par son nom:
Lequel voyant ceste femme tremblante
Aultre que humaine (à la veoir) ressemblante
Vouloir ainsi mon malheur pourchasser,
Fort rudement s'efforce à la chasser;
En me incitant d'avoir hardy courage
De besongner, et faire à ce coup rage.
Puis folle Crainte amye de Soucy
Irrita fort, en s'escriant ainsi.
Bon Espoir parlant en forme de Ballade
Va t'en ailleurs, faulce Vieille dolente,
Grande ennemie à fortune, et bon heur,
Sans forvoyer par ta parolle lente
Ce pauvre humain hors la voye d'honneur:
Et toy Amy, croy moy, car guerdonneur
Je te feray, si craintif ne te sens:
Croy donc Mercure, emploie tes cinq sens,
Cueur, esprit, et fantasie toute
A composer nouveaulx motz, et recens,
En deschassant crainte, soucy, et doubte.
Car celle là, vers qui tu as entente
De t'adresser, est pleine de liqueur
D'humilité, ceste vertu patente,
De qui jamais vice ne fut vainqueur.
Et oultre plus, c'est la Dame de cueur
Mieulx excusant les esperitz, et sens
Des Escrivains, tant soient ilz innocens,
Et qui plus tost leurs miseres desboute.
Si te supply, à mon vueil condescens,
En deschassant crainte, soucy, et doubte.
Est il possible, en vertu excellente
Qu'un corps tout seul puisse estre possesseur
De trois beaulx dons, de Juno l'opulente,
Pallas, Venus ? ouy: car je suis seur
Qu'elle a prudence, avoir, beaulté, doulceur,
Et des Vertus encor plus de cinq cens.
Parquoy amy, si tes dictz sont decens,
Tu congnoistras (et de ce ne te doubte)
A quel honneur viennent Adolescens
En deschassant crainte, soucy, et doubte.

Envoy
Homme craintif, tenant rentes, et cens
Des Muses, croy, si jamais tu descends
[Au lac de paour,] qui hors d'espoir te boute,
[Au val de paour]
Mal t'en yra: pource à moy te consens
En deschassant crainte, soucy, et doubte.

Le despourveu
En ce propos grandement travaillay
Jusques à temps qu'en sursault m'esveillay
Ung peu devant, qu'Aurora la fourriere
Du cler Phebus commençast mettre arriere
L'obscurité nocture sans sejour,
Pour esclaircir la belle Aulbe du jour.
Si me souvint tout à coup de mon songe,
Dont la pluspart n'est fable, ne mensonge,
A tout le moins, pas ne fut mensonger
Le bon Espoir, qui vint à mon songer:
Car verité feit en luy apparoistre
Par les vertus, qu'en vous il disoit estre.
Or ay je faict au vueil du dieu Mercure,
Or ay je prins la hardiesse, et cure
De vous escrire à mon petit pouvoir,
Me confiant aux parolles d'Espoir
Le bon Vieillard, vray confort des craintifz,
A droit nommé repaisseur des chetifz,
Car repeu m'a tousjours soubz bonne entente
En la forest nommée longue Attente:
Voire et encor de m'y tenir s'attend,
Si vostre grâce envers moy ne s'estend.
Parquoy convient qu'en esperant je vive,
Et qu'en vivant tristesse me poursuive.
Ainsi je suis poursuit, et poursuivant
D'estre le moindre, et plus petit servant
De vostre hostel (magnanime Princesse)
Aiant espoir, que la vostre noblesse
Me recevra, non pour aulcune chose
Qui soit en moy pour vous servir enclose:
Non pour prier, requeste, ou rhetorique,
Mais pour l'amour de vostre Frere unique,
Roy des Françoys, qui à l'heure presente
Vers vous m'envoye, et à vous me presente
De par Pothon, gentil homme honorable.
En me prenant, Princesse venerable,
Dire pourray, que la Nef opportune
Aura tiré de la Mer d'infortune,
Maulgré les ventz, jusque en l'isle d'honneur
Le pelerin exempté de bon heur:
Et si auray par ung ardant desir
Cueur, et raison de prendre tout plaisir
A esveiller mes esperitz indignes
De vous servir, pour faire Oeuvres condignes,
Telz qui plaira a vous, treshaulte Dame,
Les commander: priant de cueur, et d'âme
Dieu tout puissant, de tous humains le Pere,
Vous maintenir en fortune prospere:
Et dans cent ans prendre l'âme à mercy
Partant du corps sans douleur, ny soucy.




Clément Marot

 

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