Bernard de Ventadour (1125-1200)
Recueil: La chanson courtoise

Je suis soucieux et tourmenté



Je suis soucieux et tourmenté
pour un amour qui m'enlace et me tient
partout où que j'aille ici et là
il me retient toujours par son frein
maintenant i! m'a donné le cœur et l'envie
de rechercher si je pouvais
un amour tel que si le roi lui-même le trouvait
il ferait preuve d'une grande hardiesse.

Hélas ! malheureux que dois-je faire
quel conseil puis-je prendre
elle ne sait pas le mal que j'endure
et je n'ose pas implorer sa pitié.
Pauvre niais ! tu as bien peu de bon sens
elle ne t'aimera jamais
pas plus par amour que par envie
jusqu'à ce que le vent t'emporte.

Et donc puisque ainsi je mourrai
je lui dirai la peine qui m'en vient
oui vraiment aussitôt je le lui dirai
non je ne le ferai pas, par ma foi
même si je savais que sur le champ
je posséderais toute l'Espagne
mais je veux mourir de dépit
car jamais cela ne me vient à la pensée.

Jamais de moi elle ne saura ce que j'ai
ni personne ne lui en dira rien.
je ne veux pas d'ami en cette affaire
mais que Dieu perde celui qui m'en tient lieu.
car je ne veux ni cousin ni parent
t une très grande faveur
que l'amour pour ma dame me tue
mais de sa part ce ne sera pas noble.

Et donc elle quel tort elle me fait
qui ne sait pas pourquoi cela arrive
Dieu ! elle devrait deviner à présent
que je meurs par amour pour elle
par mon comportement stupide
et par la grande vilenie
qui me lie la langue
quand je me présente devant elle.

Nul plaisir n'équivaut au mien
quand ma dame me regarde et me contemple
car son beau et doux regard me va
au cœur m'apaise et me fait revivre
et si ce plaisir pouvait durer longtemps
par tous les saints je lui jurerai
qu'au monde il n'existe pas d'autre joie
mais au moment du départ je brûle et me consume.

Puisque je ne lui enverrai pas de messager
et il ne me convient pas de le lui dire
je ne me suis d’aucun secours
mais une chose me console
elle connaît les écrits et les comprend
et il m’est agréable de lui écrire
les mots et si cela lui plaît
elle les lira pour mon salut.

Et si elle ne prend à cœur la peine d’autrui
qu’elle agisse pour Dieu et par pitié
qu’elle ne m’enlève pas le beau moment
qu’elle m’a accordé ni ses belles paroles.




Bernard de Ventadour

 

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